LA
PEINTURE ACADEMIQUE, SES RÈGLES ET SES INSTITUTIONS
Les années 1848-1870 représentent une époque
charnière dans l'histoire de l'art en France. Héritière des courants dominants
de la première moitié du XIXème siècle :
romantisme d'une part et néo-classicisme d'autre part, elle se poursuit jusqu'à
la naissance de l'impressionnisme. Encore
très fortement marquée par la tradition académique, cette période est
caractérisée par la persistance de structures qui constituent ce qu'on appelle
le "système des Beaux-Arts". Les artistes sont amenés à se situer par rapport à
ce système. La plupart d'entre eux en acceptent les règles et obtiennent -
généralement - la faveur du public et de la critique. D'autres, sans remettre
totalement ce système en cause, évoluent à sa marge et rencontrent davantage de
difficultés à faire admettre leurs oeuvres.
Le système des Beaux-Arts Il s'appuie à la fois sur des principes et sur
des institutions :
1. Des principes :
Pour satisfaire aux exigences de l'Académie,
diffusées à travers l'enseignement de l'Ecole des Beaux-Arts et confirmées par
les différents concours et par le jury des Salons,
les peintres devaient respecter un certain nombre de principes. Ceux-ci se sont
progressivement figés avec le temps et ont fini par constituer un carcan contre
lequel se sont insurgés peu à peu des artistes et des critiques. La reconnaissance des courants novateurs
du dernier
quart du XIXème siècle : impressionnisme,
nabis, fauves... opérée, un peu à retardement, par
l'opinion du XXème siècle a d'ailleurs entraîné un rejet
global des principes de l'Académie, et le terme "académisme" a pris une
connotation péjorative avec l'expression "art pompier" qui lui a été
attribuée comme synonyme (1). Si l'on se réfère aux polémiques qui ont accompagné
l'ouverture du Musée d'Orsay, accusé de réhabiliter la peinture académique, le
débat n'est toujours pas clos.
Quelles étaient ces exigences auxquelles
devaient se soumettre les peintres ?
* Respecter la "hiérarchie des genres"
: Enoncée par Félibien (historiographe,
architecte et théoricien du classicisme français) en 1667, la hiérarchie des
genres considère la peinture d'histoire comme le "grand genre". Prennent place
dans la peinture d'histoire les tableaux à sujets religieux, mythologiques ou
historiques qui doivent être porteurs d'un message moral. Viennent ensuite, en
valeur décroissante : les scènes de la vie quotidienne dites "scènes de
genre", les portraits, puis le paysage et enfin la nature morte. A cette
hiérarchie des genres correspond une hiérarchie des formats : grand format pour
la peinture d'histoire, petit format pour la nature morte. Cette hiérarchie, maintenue par l'Académie, perdure
pendant tout le XIXème siècle, mais elle est
progressivement remise en cause. Dans son compte-rendu du Salon de 1846,
Théophile Gautier constate déjà que : "Les sujets religieux sont en petit nombre, les batailles ont sensiblement diminué, ce qu'on appelle tableau d'histoire
va disparaître... La glorification de l'homme et des beautés de la nature, tel
paraît être le but de l'art dans l'avenir".
* Affirmer la primauté du dessin sur la couleur
: La reconnaissance de cette primauté
remonte à la naissance des Académies. Il s'agissait alors de mettre l'accent sur
l'aspect spirituel et abstrait de l'art : le trait ne se rencontre pas dans la
nature. L'artiste l'utilise, ainsi que les contours et l'ombre, pour créer
l'illusion des trois dimensions sur une surface plane. Quant à la couleur,
présente dans la nature, donc concrète, elle est confinée dans un rôle secondaire et son
apprentissage n'est pas jugé nécessaire. "Le dessin comprend les trois quarts et
demi de ce qui constitue la peinture" affirme Ingres. Dans sa Grammaire des Arts du dessin, publiée en 1867, Charles Blanc reconnaît que la couleur
est essentielle en peinture, mais qu'elle occupe le second rang : "L'union du
dessin et de la couleur est nécessaire pour engendrer la peinture, comme l'union
de l'homme et de la femme pour engendrer l'humanité ; mais il faut que le dessin
conserve sa prépondérance sur la couleur. S'il en est autrement, la peinture
court à sa ruine ; elle sera perdue par la couleur comme l'humanité fut perdue
par Eve"...
* Approfondir l'étude du nu : Cette étude s'appuie sur un travail à partir de la sculpture antique et du
modèle vivant. Il ne s'agit pas seulement de copier la nature, mais de
l'idéaliser, conformément à l'art antique et de la Renaissance. Le dessin du
corps humain est l'expression supérieure et l'incarnation de l'idéal le plus
élevé.
* Privilégier le travail en atelier par rapport
au travail en plein air, sur le motif : Si cette dernière pratique est tolérée, c'est dans
l'exécution de croquis et d'ébauches réalisés et à seule fin d'être utilisés
ensuite en atelier dans les grandes compositions.
* Réaliser des oeuvres "achevées"
: Il faut que les oeuvres aient un aspect
fini. Pour cela leur facture doit être lisse et la touche non visible. Ingres
note : "La touche, si habile qu'elle soit, ne doit pas être apparente : sinon
elle empêche l'illusion et immobilise tout. Au lieu de l'objet représenté elle
fait voir le procédé, au lieu de la pensée elle dénonce la main".
* Imiter les anciens, imiter la nature
: C'est par l'imitation des anciens que
passe, toujours pour Ingres, l'imitation de la nature : "Il faut copier la
nature toujours et apprendre à bien la voir. C'est pour cela qu'il est
nécessaire d'étudier les antiques et les maîtres, non pour les imiter, mais,
encore une fois, pour apprendre à voir. (...) Vous apprendrez des antiques à
voir la nature parce qu'ils sont eux-mêmes la nature : aussi il faut vivre
d'eux, il faut en manger".
2. Des
institutions :
* L'Ecole des Beaux-Arts L'Académie royale de peinture et de sculpture, créée en
1648, ouvre, sous sa dépendance directe, l'Ecole des Beaux-Arts. L'enseignement
dispensé aux étudiants est fondé sur le seul dessin, à partir du modèle vivant
et de la sculpture antique. Les enseignants sont tous membres de l'Académie. Les
candidats à l'entrée à l'Ecole des Beaux-Arts (les femmes n'y sont admises qu'en
1897) doivent passer un concours d'admission consistant en l'exécution d'une
figure nue dessinée d'après le modèle vivant. Chaque année les élèves sont appelés à participer à de
nombreux concours qui constituent autant d'étapes avant la récompense suprême
que représente le Prix de Rome. Paradoxalement, alors que seul le dessin est
enseigné à l'Ecole, plusieurs de ces concours portent sur la peinture. Les
sujets proposés sont essentiellement tirés de la mythologie et de l'histoire
grecque et romaine d'une part, de la Bible d'autre part. Les élèves sont amenés
à acquérir les connaissances nécessaires au traitement de ces sujets, y compris
à travers des cours dispensés au sein de l'Ecole. A titre d'exemple, pour
l'année 1857, le sujet du concours du Paysage historique était "Jésus et la
Samaritaine", et celui de la Composition historique : "La résurrection de
Lazare". Le célèbre Prix de Rome (un par an en peinture, sculpture, gravure,
architecture, composition musicale) qui constitue l'ambition suprême des élèves
permet aux lauréats de séjourner - aux frais de l'Etat - cinq années à la Villa
Médicis à Rome, et les assure d'une carrière soutenue par des commandes
officielles. Critiquée dès le milieu du
siècle, accusée d'encourager davantage la persévérance que le talent, l'Ecole
fait l'objet d'une réforme en 1863. L'enseignement du dessin garde sa
suprématie, mais sont ouverts des ateliers où l'on enseigne la peinture et la
sculpture. Parallèlement à cet
enseignement officiel il existe des ateliers privés. Jusqu'à la réforme de 1863,
ce sont les seuls lieux où les élèves peuvent apprendre les techniques de la
peinture. Après l'introduction des ateliers de peinture au sein de l'Ecole, ces
ateliers indépendants subsistent et permettent aux jeunes artistes d'échapper au
joug, qui pèse à certains, de l'enseignement académique. Les plus célèbres de ces ateliers sont l'Académie suisse,
ouverte en 1815, l'atelier que dirige Charles Gleyre à partir de 1844 et
l'Académie Julian qui fonctionne depuis 1868.
* Le Salon (2) Le 1er Salon fut organisé en 1667 par Colbert.
Défini comme une "exposition périodique
d'artistes vivants", il tire son nom du fait que, jusqu'en 1848, il se tient
dans le Salon Carré du Louvre. Il occupe une place essentielle dans la vie
artistique du XIXème siècle, car c'est
pratiquement le seul lieu où les artistes peuvent montrer leurs oeuvres. A cette
époque, les expositions personnelles ou privées sont rares et les reproductions
peu diffusées. C'est au Salon que le
Ministère des Beaux-Arts achète les oeuvres qui entreront au Musée du Luxembourg
- où sont exposées les oeuvres des artistes vivants avant d'accéder au Louvre à
la mort de leur créateur - dans des musées de province ou dans des édifices
publics. Les oeuvres proposées au Salon
sont soumises à un jury. La composition de ce jury varie souvent, mais la
plupart du temps il s'agit de membres de l'Académie. La sélection opérée par le
jury est fonction du nombre (croissant) d'oeuvres proposées mais, plus encore,
d'une exigence variable du respect des règles académiques. En 1863, le jury se montre si sévère (3000 oeuvres
refusées sur les 5000 proposées par les peintres) que Napoléon III autorise la
tenue, dans une partie du Palais de l'Industrie distincte de celle où se tient à
ce moment-là le Salon officiel, d'un "Salon des Refusés" (Le déjeuner sur l'herbe, présenté par Manet, y provoquera un scandale
retentissant). Malgré les difficultés
rencontrées par certains artistes pour faire admettre leurs oeuvres au Salon,
c'est l'objectif que se fixent néanmoins la plupart d'entre eux. Cependant les expositions
impressionnistes entre 1874 et 1886, la naissance de salons "parallèles"
comme le Salon des Indépendants à partir de 1884, la scission au sein de la Société des
Artistes français qui provoque la création de la Société nationale des
Beaux-Arts et un nouveau Salon au Champ-de-Mars en 1890, le développement du
marché de l'art dans les galeries privées, permettront aux artistes de
diversifier les occasions de montrer leurs oeuvres et de les vendre. Ce contexte
nouveau
mettra un terme à la situation de quasi-monopole du Salon.
* La critique d'art C'est à partir du moment où le Salon a été organisé à un
rythme régulier, c'est-à-dire vers 1750, qu'est née la critique d'art sous la
forme de comptes-rendus dans la presse. Au milieu du XIXème
siècle la production artistique est abondante, le nombre d'oeuvres proposées au
Salon augmente, l'affluence des visiteurs s'accroît, et la difficulté qu'ils
éprouvent à se forger un jugement explique leur intérêt pour les comptes-rendus
qui leur sont proposés. Le critique joue un rôle de médiateur entre l'artiste et
le public. Les périodiques spécialisés
dans le domaine artistique se multiplient (12 titres en 1850, 20 en 1860), et
les quotidiens ouvrent leurs colonnes aux compte-rendus des Salons puis des
expositions. La plupart des rédacteurs
sont des journalistes qui s'adonnent à la critique à titre occasionnel, mais
quelques-uns se spécialisent dans ce domaine. Et, dans la tradition française à
la suite de Diderot, des écrivains s'attachent à donner leur avis sur les Salons
(Th. Gautier, Ch. Baudelaire, E. Zola, J.K. Huysmans...). Si la plupart des commentaires se limitent à une
description iconographique de l'oeuvre, le souci de forger le goût du public et
de prendre parti est souvent manifeste. Couleur politique du journal,
convictions personnelles des critiques, affinités avec certains artistes, donnent à de nombreux commentaires un ton
polémique.
source : Musée d'Orsay. Les peintres, le Salon, la
critique, 1848-1870, Joëlle
Bolloch
1)
Le mot "Pompier"
synonyme avec dérision d'art académique apparaît selon le Robert en 1888,
ce vocable englobe le néoclassicisme, l'éclectisme, l'orientalisme
et le "Victorian-neoclassicism"
anglais et, plus généralement, toute peinture figurative de facture soignée
avec figure
humaine . Il semble que cette
dénomination d'art pompier provienne d'une plaisanterie d'élèves des Beaux-Arts, qui auraient
comparé les casques grecs ou romains des guerriers du répertoire néoclassique à
des casques de pompiers. D'autres
hypothèses : contraction, toujours par dérision, du courant "pompéin"
de Pompéi, formé par J.L. Gérôme dans les années 1850. "Qui
éteint le feu" par allusion à l'académisme qui, pour certains,
a tout éteint. Dans pompier, il y a aussi bien entendu l'homonymie avec pompe, pompeux.
2)
Le Salon. Tous les deux ans, naguère c'était tous les ans, le gouvernement
régale le public d'une grande exposition de peinture, statuaire,
dessin. Jamais l'insdustrie n'eut des exhibitions aussi fréquentes,
et elle en jouit depuis beaucoup moins de temps. En fait, c'est
une foire d'artistes, mettant leurs produits en vente, en attendant
avec anxiété les chalands. Pour ces solennités exceptionnelles le
gouvernement nomme un jury, chargés de vérifier les ouvrages qu'on
lui envoie, et de désigner les meilleurs. Sur le rapport de ce
jury, le gouvernement décerne les médailles d'or et d'argent, des
décorations, des mentions honorables, des récompenses pécuniaires,
des pensions ; il y a pour les artistes distingués, selon le talent
reconnu et l'âge, des places à Rome, à l'Académie, au Sénat. Tous
ces frais sont acquittés par nous autres profanes, comme ceux de
l'armée... Proudhon, Du principe de l'art et de sa destination sociale,
1865.

Alexandre Cabanel, Thamar, 1850 Orsay Paul Delaroche, Study for a figure of Fame from the Hemicycle des Beaux-Arts Commande pour la décoration de la salle des Prix dans le nouveau bâtiment de l'Ecole des Beaux-Arts 1836/1841.
Les études académiques sont alors de rigueur et deviennent même très réalistes.



Paris, la référence mondiale des Arts et de ses apprentissages ! José Ferraz de Almeida Júnior, 8 mai 1850 – 13 novembre 1899, généralement considéré comme le principal peintre réaliste brésilien du XIXe siècle. Il vit surtout à Paris où il est l'élève d'Alexandre Cabanel et entre au contact de l'influence des maîtres français. Il est poignardé à mort par le mari de sa maîtresse. Jean Léon Gérôme, étude pour The End of the Sitting 1896, le célèbre artiste enseigne tout comme Cabanel à l'école des Beaux-Arts de Paris.
En complément : http://declerck.chez-alice.fr/sociologie-histoire%20de%20l'art.htm
Le président Fred Ross,
d’Art
Renewal Center, parle de l'art académique (09/05/2001) Evénement d'autant plus évocateur que
l'auteur est américain, autrement dit de la nation qui actuellement impulse les
tendances à suivre : Metropolitan Museum de New York
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CONCOURS DE L'ACADEMIE, LE PRIX DE ROME
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