Pedro Saenz
L'ART DU NU ACADEMIQUE AU XIXème SIÈCLE
On entend généralement par "nu académique", d'abord un grand dessin format raisin, ensuite une peinture ou encore une sculpture, représentant un ou plusieurs nus, "l'académie", fait d'après un modèle vivant. C'est également le cours d'académie dispensé à peu près jusqu'en 1970 dans toutes les écoles des Beaux-Arts. L'exécution du nu est soignée et toujours figurative. Le corps doit être réaliste, en respectant ses proportions et avec un modelé travaillé. Les poses sont variées mais la référence initiale à la mythologie prendra avec le temps une importance secondaire.
Un modèle plutôt féminin que masculin De
tout temps l'homme a aimé contempler un joli corps de femme, avec ou sans
artifices. Dès la
Renaissance, l'anatomie, indissociable du nu, fait partie intégrante de l'éducation des artistes et est
enseignée dans les académies, principalement à partir du dessin d'après l'antique,
du modèle vivant et de
la dissection des cadavres. Des études préalables à la représentation analysent
en détail toutes les parties du corps humain.
L'étude du corps se fait donc
d'après nature ou par la
copie des œuvres d'art antique que l'artiste débutant, à défaut de moulages, trouve dans des recueils de reproductions spécialement prévus à cet effet, et qui font office de
manuels de morphologie. Dès sa création, l'école des Beaux-Arts fait référence à
ces canons classiques qui
constitueront la règle de son enseignement jusqu'au milieu
du XXème siècle. Les nus classiques
ainsi que néo-classiques
vont prendre un caractère moral
avec des poses aux corps anatomiquement parfaits, qui exaltent le
courage, le patriotisme, le sentiment héroïque. Les attitudes, dans
des mises en scène théâtrale, sont étudiées de manière à ne rien montrer qui puisse
offencer la pudeur, beaucoup de peintres
utiliseront d'ailleurs les ressources du drapé pour habiller les parties sensibles
de leurs figures afin de les rendre
plus
présentables.
On
peut considérer que la réalisation de l'Olympia de Manet
marque un tournant dans l'histoire du nu et, qu'avec celle-ci, s'arrête la figuration à proprement parler académique. Dans cette peinture, la nudité
est interprétée avec une certaine banalité qui ne cherche pas
l'élégance, mais la vérité à la manière des oeuvres réalistes
de Courbet.
SAPHO ou SAPPHO
Le nu féminin reflet de l'époque Deux
types de caractère féminin, en apparence contradictoires, sont alors en vogue
au XIXème siècle
:
En lien, deux canons de la beauté qui figurent naturellement dans les oeuvres des artistes se partagent ce siècle : - Le stéréotype dominant, c'est celui de la femme, ronde et potelée, aux bras dodus, à la chevelure opulente et à la chair d'albâtre, à l'image par exemple des Vénus de Cabanel et Bouguereau, des modèles de Gérôme et Lefèbvre. - Le second, celui de la féminité fragile et romantique, qui pourrait s'apparenter à Camille Claudel, et qui est menacée par l'hystérie décrite par Charcot. C'est aussi la belle malade du corps, la tuberculeuse pâle comme Marguerite Gautier la Dame aux camélias. Zola, dans sa "Nana" ne manque pas d'exalter cette relation ambiguë entre la féminité et la maladie réelle ou supposée. Cela ne se limite pas à la littérature : entre 1830-1880 dans la peinture, en pleine période du romantisme, des préraphaélites anglais, on fait aussi l'éloge de la pâleur, des joues creuses, des cernes sous les yeux. Ce sera surtout cette image de la femme pleine d'une froide sensualité, de langueur, avec un teint clair et une abondante chevelure, que retiendra le mouvement préraphaélite. Elisabeth Siddal qui a été la première femme du peintre Dante Gabriel Rossetti en est un reflet dramatique. En 1862 elle se suicida au laudanum, un dérivé de l'opium. La belle et troublante Jane Burden qui fut sa seconde épouse et lui servit de modèle, comme Elisabeth, posera quant à elle pour la très symbolique Vénus Verticordia, si emblématique de ce second type de féminité. Certains artistes, certains peintres, mais surtout les poètes et écrivains exploiteront l'idée que l'affection pouvait permettre de se distinguer du commun des mortels ; qu'elle donne au visage une "étrange splendeur", qu'elle singularise la personnalité et l'oeuvre. La médecine n'est d'ailleurs pas en reste et vient renforcer cette tendance singulière. Les textes médicaux sur le sujet considèrent souvent la femme comme une créature inconstante et fragile, à qui la nature a donné le pouvoir d'enfanter, et selon le commentaire de Michelet sur ses menstruations "La femme subit même l'éternelle blessure d'amour".
De nombreux artifices, de nombreux tabous, demeurent encore bien ancrés dans la vie quotidienne d'avant 1914. La femme par exemple doit être façonnée, dissimulée et statufiée dans un vêtement rigidifié par un appareillage complexe et contraignant de faux-culs et de corsets ; l'homme quant à lui s'habille en noir et, engoncé dans sa redingote, il ne montre pas davantage son corps. Néanmoins l'époque découvre aussi les bienfaits des bains, le besoin d'aérer son corps, mais raisonnablement, et pour les premières excursions à la plage et la pratique du sport, il faut bien entendu se protéger contre les "mauvais airs" et les rayons du soleil. Fini, aussi, l'excès de fard qui caractérisait l'Ancien Régime. Les livres de beauté critiquent d'ailleurs leur usage pour des raisons autant hygiéniques que morales : la femme fardée n'est-elle pas une femme de mauvaise vie ?
Seules, finalement, et peut-être à cause du code strict de la morale, peinture et sculpture se permettent de représenter la nudité. Mais essentiellement féminine et souvent à travers une multitude de nymphes, d'odalisques et d'allégories. Alors l'artiste déshabille son modèle comme jamais et ce ne sera qu'à la fin du siècle, sous l'influence des modèles américains, lorsque l'homme va éprouver un attrait pour la culture physique, que l'on retrouvera un goût relatif pour la nudité masculine.
Jules Toulot dans son atelier à Clermont-Ferrand
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