LES VOIES AMBIGUES DE
LA RECONNAISSANCE
Comme
on vient de le souligner, Les
expositions qui présentent des recherches d’avant-garde ne touchent qu’une
assistance réduite mais ce constat ne les empêchent absolument pas d’obtenir des
subventions publiques. Alors, à l’instar de Kant qui ne tombe pas dans
l’excès de la liberté absolue et n’adhère pas entièrement aux idées du « Sturm
und Drang », les pouvoirs publics ne devraient-ils pas - déjà par
souci d’équité - cesser d’encourager, à travers le financement des Centres d'art, la forme
unique et exclusive de l’art contemporain qui rejette catégoriquement règles et
dimensions esthétiques ? Pour
suivre la pensée de Kant, il ne s’agit nullement de nier l’intérêt de
l’inspiration et de l’originalité qui constituent l’essence même de la
véritable création artistique, au profit de l’intérêt seul de la raison et
de la technique. Il s’agit plutôt d’adopter une position moins catégorique, en
quelque sorte intermédiaire, prenant en compte tout à la fois l’originalité, la
lisibilité - au sens large - et l’impact émotionnel de l’oeuvre.
L’art
contemporain ne se résume pas uniquement aux recherches expérimentales et
abstraites, il englobe aussi des peintres figuratifs comme Balthus ou Bacon et
d'autres, moins connus, tel l'italo-argentin Vito Campanella, né en 1932, ou
bien encore le peintre visionnaire à l'étrange répertoire Claude
Verlinde, né en 1927. Actuellement, on peut parfaitement prétendre que tous les genres coexistent ; surtout si l’on accepte
d’élargir les champs d’application des arts plastiques, comme le veut la
tendance actuelle, et qui vont du post-impressionnisme à la technique vidéo. En
d’autres termes, le qualificatif « contemporain » désigne, en
principe, autant des créateurs d’avant-garde ambitieux, soucieux de mettre en
place et d'exploiter de nouveaux modes d’expression, que des artistes sans prétention
révolutionnaire, parfois même proches de l’imitation, mais qui n’en possèdent
pas moins leur intérêt local, national, voire international.
Aussi,
pour un Balthus reconnu et admiré, combien d’artistes de la Galerie du Puits du
Bourg (1) ou appartenant au mouvement « Figuration Critique » (2)
resteront-ils dans l’ombre en n’ayant jamais voix au chapitre, alors que leurs
oeuvres font néanmoins preuve de talent et de personnalité ? Au
contraire de ces peintres méconnus, l’art conceptuel et minimaliste a eu
l’adresse d’attirer l’attention et la bienveillance de pôles de décisions et de
pouvoirs, ce qui n’a fait que rendre plus compliquée et improbable la
reconnaissance de ceux qui expriment leur art à travers des moyens et supports
traditionnels.
Dans
l’immédiat, face à la rigidité des critères établis par les réseaux décrits au
chapitre suivant, il faut bien constater que ces artistes ne peuvent guère
prétendre à une reconnaissance nationale et encore moins internationale ;
ils doivent à la rigueur se satisfaire d’un succès d’estime locale avec toute
la connotation
péjorative qui s'y applique au niveau des Commissaires-Critiques autorisés. La
presse progressiste elle-même, celle qui revendique pourtant la liberté
de penser et l'ouverture d'esprit, contribue à entretenir cet état
de fait. Beaux-Arts Magazine reflète l'exemple type d'une revue
incapable de se détacher d'un courant dominant et Le Monde ou Libération,
lors des rubriques consacrées au sujet, ne semblent pas davantage
faire preuve d'originalité et ne s'écartent pour ainsi dire jamais
des sentiers battus de la critique. Quelques articles, comme celui
de mars 2006 du Monde2 : "Yvon Lambert, marchand d'art depuis 40 ans", consacré à sa très officielle galerie
bien représentative de l'art conceptuel américain des années 70, ressemblant même étrangement à une banale
publicité rédactionnelle.
1) La Galerie du Puits du Bourg, fondée en
1990, est située à Nevers dans la rue du même nom. Elle n'expose pas d'oeuvres à caractère local. Elle essaie,
malgré ses modestes moyens, de présenter des expositions personnelles et de
qualité.
2) Briser le carcan des réseaux et des idées
reçues, du mythe dévastateur des avant-gardes, n'est pas chose aisée. La Figuration Critique, née en 1978, malgré ses
expositions au Grand Palais, se trouve toujours en mal de reconnaissance et n'a
su imposer aucun de ses artistes. Ce groupe, dont l'objectif est de reconquérir
le pouvoir de fascination magique et séculaire de la peinture, se propose
d'inventorier les domaines de l'art figuratif, de les défendre dans leur
pluralité et leur altérité. La Figuration Critique entend également être une
riposte vers le zéro absolu artistique de l'art minimaliste et conceptuel de
cette fin de siècle.
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LE LIT DE TRACEY
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