VERS UN NOUVEL
ART OFFICIEL FRANCAIS
L’objectif
de la peinture abstraite se distingue par sa volonté de rompre avec
l’illusionnisme du réel. Pour arriver à cette fin, les pionniers de l’art
moderne ont dû batailler ferme contre les anciens poncifs académiques. Leur
effort d’alors n’a d’égal que celui déployé aujourd’hui par les héritiers de
cet art moderne pour imposer un nouvel ordre, tout d’abord en brouillant les
règles, ensuite en instaurant un système particulièrement bien balisé et bien
verrouillé.
C’est
ainsi qu’en France, vers la fin des années 60, quelques artistes pensant que
l’abstraction se disperse dans les méandres de l’art optique ou encore dans une
forme de naturalisme, croient apporter leur contribution à la nouveauté par la
constitution du groupe « BMTP »(1).
Cette association dont le générique est formé par les initiales patronymiques
des membres fondateurs adopte comme concept la répétition systématique des
mêmes motifs. Un de ces quatre artistes, Buren, se distingue grâce aux rayures
verticales de ses oeuvres qu’il appose invariablement sur tout type de support.
Mosset se singularise quant à lui par des carrés blancs avec, au centre, un
cercle noir, Parmentier par des toiles rayées horizontalement et le quatrième,
Toroni, avec l’empreinte d’un pinceau répétée à intervalles réguliers. Le
Groupe, avec le relais des milieux français autorisés, considère ses activités minimalistes avec sérieux
tout en leur donnant
un caractère polémique qui annonce dans une certaine mesure l’esprit de Mai 68.
Le principe de Claude
Viallat, peintre de la même génération, diffère peu : répétitions à
travers tout l’espace d’une toile non préparée, souvent de récupération, d’une
trace identique appliquée au pochoir. Ce créateur va se trouver avec quelques autres à l’origine du mouvement
« Support-Surface », qui se donne comme ambition de démanteler les
éléments constitutifs du tableau. Autrement dit, de remettre notamment en cause
le support traditionnel de la peinture : le châssis, mais en préservant
toutefois l’idée que la peinture, matière colorée posée en
« surface », reste une réaction possible envers le néo-dadaïsme ou
contre la mode de l’art conceptuel. Support-Surface,
baptisé ainsi par Vincent Bioulès, se situe par bien des égards proche de
l’esprit minimaliste. Par la suite, quelques ressemblances avec « Arte Povera »
apparaîtront
(2),
notamment à travers l'utilisation de
techniques artisanales frustres et l'emploi de matériaux bruts, comme le
montre Dezeuze lorsqu’il déroule ses palissades en roseau, ou Rouan, quand il
tresse des bandes de tissu.
Support-Surface
se disperse après quelques années, mais demeure très influant, notamment à travers
plusieurs de ses anciens membres, devenus fonctionnaires, et qui enseignent dans les écoles d’art. Par
ailleurs, les artistes de Support-Surface ont largement profité des commandes
destinées aux édifices publics (3),
ils sont également omniprésents par leurs oeuvres, au même titre que les
représentants de l’Art Pauvre
d’ailleurs, dans les collections des fonds régionaux d’art contemporain. L'influence
est telle que quelques années plus tard, l’art conceptuel et minimaliste français, directement issu
de l'esprit de ces groupes, aura quant à
lui le privilège de voir le ministère de la Culture créer des structures officielles, c'est-à-dire
les Centres d’art, uniquement vouées à le soutenir.
1) BMTP : 1966. La version franco-suisse de
l'art minimal, tendance Dada contestataire, revisitée par la politique. Pour
les définitions des mouvements ou tendances, on peut utilement
se référer au numéro,
hors série, de Télérama d'octobre 1992.
2) Arte Povera : A gênes, le critique d'art
Germano Celant organise en 1967 la première exposition d'Art Pauvre. Les
conventions iconographiques n'existent plus. Les matériaux bruts : tissus,
plaques de tôle, charbon... sont accrochés au mur ou posés à même le sol avec :
A. Boetti, M. Merz, J. Kounellis...
3) Dans le cadre de la loi Malraux qui
réserve 1% du budget pour les Arts Plastiques, mais aussi de commandes spécifiques comme par exemple des vitraux (Rouan et Viallat, pour la cathédrale de Nevers). Les
enseignants, adeptes de Support-Surface, sont désormais
en retraite mais ils ont souvent été remplacés par leurs
élèves.
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SUPPORT-SURFACE, un avatar de la modernité nord-américaine
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