TOUJOURS PLUS LOIN DANS LE DERISOIRE Parallèlement
à la recherche d’une définition spirituelle de l’oeuvre prenant en compte le
symbolisme des couleurs, ce qui ouvre la voie à la peinture abstraite, un
courant contestataire se fait jour et propose d’explorer les chemins de la
dérision. Dada
est un courant où l’absurde et à un degré moindre l’humour désabusé sont rois, où la
critique et la dérision font force de loi. C’est un peu la philosophie du
« Sturm und Drang » poussée à son paroxysme. Le Dadaïsme est
contemporain de l’abstraction mais il la dépasse cependant par son concept
radical puisque son but n’est même plus de créer une oeuvre d’art. Une
personnalité domine la brève histoire de ce courant, celle de Marcel Duchamp.
Convaincu que tout a été fait et dit dans le domaine des arts plastiques, il
impulse au Dadaïsme sa dimension extrême qui se concrétise par son invention
des « ready-made » : banal objet manufacturé mais présenté dans l’écrin du
musée.
Duchamp renonce très tôt à peindre puisque selon lui, la peinture de chevalet n’est pas adaptée au monde moderne ; il s’amuse à construire des assemblages (boîte en valise, 1936-1941) mais sans objectif précis, car depuis 1923 il ne se considère plus comme créateur, préférant au jeu des arts plastiques le jeu d’échecs. Il est aisé de constater que bien des courants actuels, en renouant avec l’inspiration critique du Dadaïsme, officialisent le retour de la dérision sous toutes ses formes. Pourtant, à cette époque l’art n’est pas, pour Dada, une fin en soi. Lorsque Duchamp expose un urinoir, son propos consiste surtout à remettre en question les fondements de la culture occidentale ; il refuse essentiellement toute attitude conformiste (1). Or, pour l’art conceptuel et minimaliste d’aujourd’hui, le but semble plutôt d’étendre le domaine des arts en appliquant, à certaines provocations artistiques, le statut d’oeuvre à part entière voire même de modèle officiel à suivre. A partir de là, pour les adeptes avertis et sérieux de l’avant-garde, il n’est pas du tout illégitime d’être subventionnés par des fonds publics ; de la même manière, ils estiment normal que des Institutions leur soient entièrement réservées. Dans
les années 60 (2), à partir des États-Unis et de Los Angeles en particulier, cette volonté de dérision
s’étendra à de nombreux aspects de la création artistique, n’épargnant ni les
préjugés, ni les goûts du public.
1) "Ce néo-Dada qui se nomme maintenant Nouveau Réalisme, Pop'Art, assemblage... est une distraction à bon marché qui vit ce que Dada a fait. Lorsque j'ai découvert les ready-made, j'espérais décourager ce carnaval d'esthétisme. Mais les néo-Dadaïstes utilisent les ready-made pour leur découvrir une valeur esthétique. Je leur ai jeté le porte-bouteilles et l'urinoir à la tête comme une provocation et voilà qu'ils en admirent la beauté." Marcel Duchamp - Lettre à Hans Richter, 10 novembre 1962. 2) Yves Klein en 1958 présente l'exposition du vide à la Galerie Iris Clert où bien entendu il ne montre rien. Par la suite, il se fera remarquer par ses anthropométries, de simples empreintes de corps féminins sur des toiles, et pour finir par sa série de monochromes bleus. |
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