CONTRE LA PHOTOGRAPHIE,
L’OEIL DE CEZANNE
Dès
le début du XIXème siècle des fractures commencent donc à apparaître au sein de
l’esthétique traditionnelle. Il ne s’agit d'abord nullement d’une remise en cause de la
problématique de la représentation, mais il s’agit plutôt de la part des
artistes de donner une impression plus personnelle du réel et de contester éventuellement la
hiérarchie des genres. L’invention simultanée de la photographie va quant à
elle provoquer une véritable crise de confiance chez certains créateurs.
La
photographie, désormais à la portée de tous et qui d'ailleurs commence à être
prise en compte comme art majeur par l'art contemporain, donne techniquement et rapidement un
résultat conforme à celui de la vue humaine ou à la vision rendue par l'intermédiaire
de l'objectif. Dès lors, pour certains, quel intérêt à peindre
les apparences puisqu’un simple appareil arrive à la même fin ? Cependant,
contrairement à l’oeil mécanique de l’objectif, il n’en reste pas moins vrai
que la réalité sensible peut toujours subir la libre interprétation de la main
de l’artiste et qu’il existe par delà du concret, des mondes comme le
fantastique, le décoratif, qui font appel au rêve, à l'imaginaire et que seul finalement
le peintre est à même de
représenter.
Ainsi,
la découverte de ce moyen de reproduction commode se trouve peut-être à l’origine de la
réflexion de Cézanne et elle a sans doute contribué à renforcer la singularité
de sa vision picturale. En effet, au contraire de la photographie, en noir
et blanc de l'époque, Cézanne
considère que la couleur, notamment par ses variations d’intensité, permet de
recréer un espace perspectif et de mieux ressentir les choses. Il pense en terme de taches, de contrastes chromatiques et de volumes géométriques ; en cela il dépasse
l’esthétique romantique ou impressionniste mais comme elles, il reste néanmoins soucieux de l’organisation
figurative du tableau.
A
la mort de Cézanne en 1906, cette appréhension de l’art va considérablement se
développer et donnera naissance : -d’une part à un intérêt pour la structure même
des composants de la nature dépassant parfois l’objectif initial de
représentation : c’est la démarche et l’analyse cubiste. -d’autre part, à
la mise en exergue de la couleur comme valeur de référence : c’est le sens
de l’approche fauviste en France et des expressionnistes dans le nord de
l’Europe. Braque
et Picasso sont les initiateurs du cubisme,ils partent du postulat que le réel peut très bien aller au delà des
apparences, ce qui appelle une redéfinition de l’espace. La
stylisation géométrique dont témoignent les arts primitifs et archaïques formera,
avec la peinture de Cézanne, la base des décompositions rencontrées dans les analyses
cubistes. Les
"Demoiselles d’Avignon", peintes par Picasso en 1907, marquent le départ du
mouvement. Inspiré dans sa composition par les Baigneuses de Cézanne, ce
tableau a dérouté les premiers spectateurs par la disproportions des corps et
la personnalité inhabituelle des visages, véritablement proche de la laideur. Dans cette oeuvre, Picasso met en
application les préceptes du maître Aixois, c’est-à-dire : "traiter
la nature selon les grands volumes géométriques qui la sous-tendent, cônes,
sphères ou cylindres". Le
cubisme aboutira par la suite à une décomposition toujours plus avancée des
éléments, les angles de vues finiront par se multiplier à l’intérieur d’une même toile et
la désarticulation extrême du contenu sera caractéristique du
cubisme analytique qui deviendra un exercice plus esthétique que naratif (1).

Odalisque,1903 - The Appleton Museum
Cette toile
tardive de Gérôme, représentant un modèle aux jolies formes, antithèse des "Demoiselles
d'Avignon", résume les innombrables baigneuses mauresques qui jalonnent
la carrière du peintre académique depuis 1870. A
la même époque, les "Grandes baigneuses" de Cézanne, son cadet de quinze
ans, explorent des voies expérimentales qui, selon la prémonition de Gérôme,
mènent à la mort pure et simple de la peinture.
1) Cf. La peinture moderne. Christian
Delacampagne, Edition Mengès - 1988.
L'INFLUENCE
DE LA PHOTOGRAPHIE
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