FAUT- IL REDUIRE LA COMMANDE PUBLIQUE ?
 

Depuis tout temps, les monarques, les aristocrates ou encore les riches bourgeois aiment à faire exécuter par des artistes de renom, des oeuvres destinées à louer leur ego, leur réussite. Ces commandes permettent également, à travers leur lisibilité et leur exécution, de flatter le regard du public.
Ainsi pour honorer ses célébrités et ses grands événements, la Troisième République intervient largement dans le domaine artistique en faisant fréquemment appel aux artistes qui doivent alors respecter plus ou moins les canons dictés par l’Académie et par le Jury du Salon.

Dans nos Républiques démocratiques se sont désormais quelques hommes politiques, hauts-fonctionnaires ou marchands influents, qui décident des choix de la commande publique dont le principe semble finalement immuable, à la nuance près que celle-ci peut s’affranchir à présent du goût du plus grand nombre.

A partir de 1951, la commande publique bénéficie d’un début d’institutionnalisation avec la création du « 1% ». En effet, tout projet de construction scolaire ou universitaire doit comporter un programme de décoration à hauteur de 1% de l'investissement hors taxe. Le champ d’application de ce principe est d’abord étendu une première fois en 1978, puis en 1981 aux constructions, extensions ou rénovations de la presque totalité des bâtiments publics. Le budget consacré à ces achats culturels passe de 5 à 33 MF entre 1983 et 1990. Il marque aussi la politique volontariste de l’Etat en faveur de l’art contemporain au détriment de l’image peinte en particulier (1).

Aujourd’hui, dans le cadre de la loi sur la décentralisation, la commande publique est essentiellement gérée par les Directions Régionales des Affaires Culturelles. Quant au choix de l’artiste, il n’y a pas de concours. La Direction Régionale propose un créateur dont le projet doit obtenir à la fois l’aval de la collectivité territoriale concernée, propriétaire de l’oeuvre, et celui de la Délégation aux Arts Plastiques qui, un peu à la manière de l’Académie des Beaux Arts du siècle passé, conserve la vision d’ensemble et impulse les orientations à suivre. C’est ainsi que 75% des oeuvres sont des « installations » ou des sculptures et que ce mécénat public sollicite surtout des artistes déjà reconnus tels : Boltanski, Takis, César...

On note par ailleurs que quelques sièges au Conseil d’Administration des FRAC sont réservés aux élus locaux mais ces derniers, souvent peu au fait des Arts Plastiques, se contentent la plupart du temps d’entériner les propositions d’acquisitions du Comité Technique. L’élu sait néanmoins s’accommoder de tous les courants artistiques, même des plus rébarbatifs. Il pense prouver ainsi sa largesse d’esprit et sa capacité à accéder au temple des Muses. Cependant, l’endettement croissant des collectivités territoriales, engendré par une conjoncture économique difficile, et la volonté affirmée de réduire les déficits budgétaires pourraient bien amener ces mêmes élus, ainsi que le Ministère concerné, à trouver là une source d’économies possibles.
Selon Michel Pébereau, Président de la Commission sur la dette publique et auteur d'un rapport sur le sujet, la France serait endettée, fin 2005, à hauteur de 1.115 milliards d'euros.
Le rapport préconise :
- de réorienter les dépenses vers des secteurs plus utiles à la préparation de notre avenir, en associant toutes les administrations publiques, Etat-Collectivités locales.
- de réexaminer intégralement l'efficacité des dépenses.
- d'accroître la mobilité des fonctionnaires et de faciliter la réduction des effectifs à la faveur des départs à la retraite.
Le ministère de la Culture et ses quelques 16.000 agents, avec en premier lieu la Délégation aux Arts Plastiques, et les régions avec les FRAC, constitueraient sans doute un excellent terrain d'expérimentation pour la mise en pratique des mesures dudit rapport. Mais comme toujours, il reste à mettre en oeuvre les réformes suggérées...

Toujours à propos des sommes allouées aux achats publics et selon Raymonde Moulin qui a publié un ouvrage intitulé « La Valeur de l’Art », la répartition des crédits s’est surtout effectuée en faveur de l’excellence artistique internationalement définie donc, par le fait même, onéreuse (2).
Les institutions françaises se sont appuyées sur un consensus de reconnaissance internationale faisant ainsi, fût-ce involontaire, la part belle aux artistes étrangers. D’après la sociologue, en même temps qu’à l’institutionnalisation de l’art, on a assisté à la fonctionnarisation de spécialistes. C’est l’Etat qui, par sa politique de formation et de recrutement établit le pouvoir de ses « experts » qui exercent ensuite un contrôle sur les collections et les institutions que sont par exemple : le Fonds national d'art contemporain (FNAC), les FRAC déjà cités, sans oublier non plus l'Association française d'action artistique (3).

 


1) La construction de la Bibliothèque Nationale de France a été l'occasion de concevoir un programme de commandes publiques et du 1% d'une ampleur exceptionnelle : 2.287.000 €. Parmi les six créateurs choisis pour investir ses murs on trouve bien entendu l'incontournable Viallat, mais aussi l'exception figurative qui confirme la règle : le peintre Garouste.

2) Les carrières internationales se déroulent en suivant un parcours balisé : grandes expositions organisées par des commissaires-critiques en vue à Londres, Berlin, New-York... et grandes manifestations comme celles de Venise ou Kassel dont les jurys, composés pour importante partie des mêmes commissaires-critiques, tiennent le rôle "d'académies" informelles.

3) Créée en 1922, l’Association française d’action artistique (AFAA) est l’opérateur délégué du ministère des Affaires étrangères et du ministère de la Culture et de la Communication pour les échanges culturels internationaux et l’aide au développement dans les domaines des arts visuels, de la scène, de l’architecture, du patrimoine et de l’ingénierie culturelle.
Dirigée actuellement par Olivier Poivre d’Arvor, l’AFAA est largement financée par les pouvoirs publics français et compte quelques "experts".
En relation permanente avec les différents milieux professionnels culturels, l’AFAA travaille en partenariat avec certaines collectivités territoriales sous forme de conventions avec des Directions régionales d’action culturelle (DRAC). Cette mise en commun des moyens et des expertises permet, en principe, de faire découvrir à l’étranger des artistes français et d’accueillir, en retour, sur le territoire des créateurs du monde entier.
Avec le concours des ambassades et établissements culturels français à l’étranger, l’association mène des actions de diffusion (circulation des œuvres, des créateurs et des professionnels) et met en œuvre des projets de coopération, de formation et de résidences dans le monde.
Elle participe tout à la fois aux échanges culturels internationaux, au soutien aux industries culturelles, à la présence de la scène artistique française à l’étranger et accompagne les artistes dans leur processus de création.
Un nouveau programme de financement et d’actions a été lancé en 2004, pour les trois années à venir.

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