POUR CONCLURE
A partir de l’instant où des peintres, comme Cézanne, ont commencé à remettre en question la notion
classique de représentation par l’interprétation personnelle des apparences du
monde sensible, la peinture ne pouvait que connaître des ruptures
dans sa forme entraînant un éclatement des genres et de la manière.
La subjectivité pure,
initiée par Malévitch, et le dérisoire de Duchamp se sont enfermés dans des
voies sans issue qui ont condamné ces deux artistes à ne plus pouvoir s’exprimer
à travers la peinture. Cependant, les centres d’art d’un côté, la peinture abstraite
de l’autre, en particulier celle très radicale de l’École de New-York (1),
ont malgré tout essayé d’élargir les champs d’investigations révélés par ces
deux précurseurs de l’art contemporain. Néanmoins, face à l’aridité et au
manque de communication engendrés par ces tendances, lorsqu’elles sont
extrêmes, le public désabusé et incrédule s’est détourné et en a déconsidéré
les oeuvres.
Pour ces raisons, peindre en donnant l’illusion de l’espace, en rendant le volume, en racontant
aussi une histoire, semble encore possible et pas forcément en contradiction avec la modernité et le goût de
la plupart des amateurs éclairés. Comme le montre la Nouvelle Objectivité ou la
Nouvelle Figuration, la représentation figurative paraît bien posséder des ressources
inépuisables, suivant en cela le modèle de la littérature qui, avec
les mêmes mots, compose à chaque fois un ouvrage différent. La peinture et, à travers elle le dessin, restera toujours un moyen majeur et
incontestable de l'expression humaine et seuls, au niveau de l'idée et du sujet,
les codes de l'écrit et du langage permettent davantage d'objectivité et de
développement. L’avenir décisif de
l’avant-garde d’aujourd’hui, avec tous les enjeux qu’il implique, et malgré le
soutien des réseaux, se trouve loin d'être établi avec certitude et sa
recherche d’identité auprès d’un public, déjà vaine, hypothèque même grandement
sa légitimité. Alors, sachant que l’art par définition est en perpétuelle évolution, pourquoi ne pas envisager un
retour à l’image, avec une forme
d’expression moins artificielle, qui redonneraient à voir. Mais, à partir de là,
il devient clair que la notion même d'avant-garde, propre à notre
siècle, n'aura plus guère de sens.
Pour autant, il ne
faudrait surtout pas récuser systématiquement la contribution des voies
expérimentales et innovantes alors qu’elles ont souvent apporté une nécessaire
libération des esprits. Par exemple, il paraît difficile aujourd’hui de
contester la dimension plastique "objectivement belle" de certaines
peintures abstraites. Il ne s’agit pas non plus de proclamer à tout prix la
grandeur
de la figuration, nullement à l’abri de la médiocrité, mais davantage de louer
une diversité, sans hiérarchie ni tendance officielle, tout en essayant de tempérer les effets
de mode. De la même manière, il
semble à présent nécessaire de rétablir un rapport plus intime entre l’oeuvre
et l’amateur, non seulement en la rendant moins hermétique, mais aussi, en
reconsidérant sa dimension. Le monumental, le spectaculaire, ou plus exactement "l’encombrant"
pour les installations ne crée pas forcément des chefs d’oeuvres, il se
condamne la plupart du temps aux Institutions, empêchant son appropriation par
les collectionneurs.
Cette critique n’a pas
forcément l’intention de s’élever contre un budget réservé à la culture parfois
salutaire et peut-être signe d’une société évoluée, mais elle souhaite attirer
l’attention sur l’absurdité à bien des égards du fondement actuel des valeurs
et sur le manque de discernement d'une administration qui, finalement en France,
ne favorise que quelques privilégiés, artistes, mais surtout fonctionnaires technocrates. A partir du moment où une démocratie,
si ce mot possède encore un sens, décide de subventionner la culture elle devrait
se montrer
avant tout soucieuse d’objectivité et de pluralité. Autrement dit, elle devrait aider
toutes les formes de créations, des plus novatrices aux plus classiques, des plus
déroutantes aux plus populaires, ceci constituant d’ailleurs sans doute pour
elle un moyen d’éviter de se tromper. A l’histoire de l’art ensuite le
soin d’effectuer la sélection.
Aussi,
face à un marché de l'art de plus en plus cynique et
hypothétique, à une pléthore de prétendants artistes-diplômés, existe-t-il vraiment une solution autre que celle imposée
par le pouvoir de l'argent et celle de l'impérieuse nécessité de connaître des personnes
d'influence ? L'art finalement est devenu beaucoup plus une question
de relations et de moyens matériels que de talent. Les plaques de
métal monumentales de Richard Serra en constituent un exemple des
plus édifiant. Pour conclure cette analyse sur l’art contemporain et sur l’évolution des mouvements, plutôt
que de citer un philosophe du passé, il est peut-être plus à propos d’alléguer
l’amusante parodie d’un artiste bien vivant, Jean Claude Lardrot, sur les excès que
peut susciter le domaine : "De nombreux peintres travaillent sur la peinture dans son rapport à une phénoménologie du
transitionnel entre ce qui se désigne comme devant être planéité dans une
élaboration instrumentale qui fait retour du structural et ce qui est perçu
comme effacement inaugural de l’intelligibilité affective récurrente mise en
regard de problématiques spéculatives à l’oeuvre dans l’économie du sujet tel
qu’il est travaillé de manière indiscernable par le jeu de l’étant et de
l’entrain d’être soumis au flux pictural qui traverse le déplacement radical
d’un projet du non agir (qu’on se souvienne des recherches -capitales parce que
non questionnables dans la zone de rupture qu’elles sous-tendent et qui font
béance dans l’unicité du discours- menées par les tenants d’une
extradimensionnalité qui se définit dans son rapport à l’espace du non-dit
contre les défenseurs d’un processus technico-formel de surinterprétativité qui
creuse le renversement de l’imminence de l’oeuvre). Pour ma part, je
fabrique des images. Ce n’est pas le même métier."
Pierre Soulage, un noir reflet des normes dictées par les
États-Unis
La crispation bipolaire, URSS-USA, qui définit la Guerre froide
pendant au moins une décennie est, par essence, idéologique, car il
s'agit d'un affrontement de systèmes de valeurs et d'organisations
du monde ; il est également culturel car les deux puissances se
combattent par l'image, le son, la propagande et non par les armes.
Le deuxième conflit mondial a fait des États-Unis une
superpuissance économique, militaire, politique qui découvre alors
le "cultural power".
Dès 1946, le ministère des Affaires Étrangères des États-Unis
participe au financement de deux grands programmes d'expositions de
peintures, vitrine de l'excellence de l'Art américain, amenées à
voyager en Amériques du Sud et en Europe. Afin de promouvoir
ladite excellence, le sénateur Fullbright établit parallèlement un
programme de bourses qui permet à des milliers d'intellectuels
d'effectuer le "Grand tour" américain pour admirer sa
richesse culturelle. Il s'agit par exemple d'affirmer et d'établir
l'émergence d'une nouvelle école spécifiquement américaine :
l'Expressionnisme abstrait avec J.Pollock, M.Rothko, A.Gorky... Cette
école, qui reste une construction étroitement liée au contexte de
la guerre froide, sera soutenue par des fondations, des musées, des
universités. Le Rockefeller Brother Fund et le Musée d'Art Moderne
de New-York ont ainsi largement promu en Europe le Nouvel Art en
organisant nombre de publications et expositions. Cependant et afin d'être totalement crédible pour asseoir la
dimension internationale des expositions, quelques artistes européens
bénéficieront également du soutien américain. En 1950, Pierre
Soulage figure ainsi dans des expositions collectives à New-York,
Londres, São Paulo, Copenhague. Dès le début des années 50, ses
toiles commencent à entrer dans les grands musées comme la Phillips
Gallery à Washington, le Musée Guggenheim et, bien entendu, le
Museum of Modern Art de New-York.
Pierre Soulage, un noir reflet des normes dictées par les
États-Unis ? Du 11 décembre 2019 au 9 mars 2020, les toiles de Pierre Soulage
seront présentées dans le Salon Carré du musée du Louvre. "Ils
empruntent des toiles à la National Gallery de Washington, au MoMA
de New-York, à la Tate de Londres. Tous les grands musées vont
prêter. Ils vont décrocher tout le Salon Carré pour installer mes
toiles, Giotto, Ucello, et les autres, y compris la Maesta de
Cimabue", précise Pierre Soulages dans une interview à la
Dépêche du Midi. L’artiste, né à Rodez en 1919, grand-croix de la Légion
d’honneur, fête ses 99 ans et une de ses toiles vient d'ailleurs
de franchir la barre des dix millions de dollars aux enchères à New
York. Les présidents de la République française viennent tous lui
rendre visite avec déférence. Un peintre panthéonisé de son
vivant, déifié par le marché international de l’art, exposé en
2009 au Centre Pompidou à Paris. Le maître du noir, sera ainsi
accueilli au Louvre, dans le saint des saints des musées français.
La part de vanité du vieil artiste ne peut donc qu'en être satisfaite.
Cf/ L'ingérence américaine dans la culture en Europe : L'art et
la guerre froide, une arme au service des États-Unis par Emmanuelle
Loyer

Un triptyque de Pierre Soulages mis aux enchères chez
Christie's en 2018 pour 1,5 million d'euros
Faut-il encore s'intéresser aux œuvres, simples signes tout à
fait interchangeables ? Par Jacky Rossignol
Effectivement, quelques-uns ont trop d'argent, trop de pouvoir et
le jeu ne devient plus loyal, alors : "Ils ne sont plus dans
le monde "normal" : ils gâchent, ils gaspillent, ils
jouent cruellement, ils choquent. Chaque production de l'art
contemporain veut dire avant tout cela : je ne suis pas dans le monde
du commun des mortels qui travaille, produit des choses utiles ou
réfléchies, je suis au service de l’hyper-classe qui peut
gaspiller, distordre, jouer, transgresser, choquer... A partir de
là, je pense qu'il est presque inutile de s'intéresser aux œuvres,
à leur inflation, à leur spéculation : ce sont de simples signes
tout à fait interchangeables pour conforter l’hyper-classe dans
son autosatisfaction béate, rien de plus. Lorsque l'on a compris que
toute oeuvre d'art contemporain est uniquement le signe d'une
distanciation "réussie" (ni trop peu : elle passe
inaperçue ; ni trop choc : elle est irrecevable). En dessous, les
"petits bobos" fonctionnent plutôt par fascination pour
cette froideur mentale. Cette fascination envieuse pour
l'indifférence affective est un mode de fonctionnement mental
extrêmement répandu puisqu'il y a une sorte de dressage au respect
de l'artiste établi."

Avec les meilleurs voeux d'un Gilet Jaune et puisse le RIC
nous apporter davantage de démocratie, y compris dans l'Art !

Doléances de Gilet Jaune iconoclaste
Dans le domaine des Arts plastiques,
pour reprendre un vocable à la mode, et à moins d'une suite
sérieuse donnée au mouvement des Gilets Jaunes, il faudra sans
doute encore patienter afin de voir les choses changer. Pourtant,
en supprimant le Ministère de la Culture avec son budget qui
progresse par rapport à 2018 et s'établit à environ dix milliards
d’euros, en hausse de 17 millions d’euros, et puisqu'il s'agit,
paraît-il, de faire de nécessaires économies, la somme ainsi mise
de côté serait loin d'être négligeable. La disparition du ministère et donc de
tout ce qui va avec : Délégation aux arts plastiques, Centres
d'art, Villa Médicis, DRAC, FNAC..., aurait en outre l'énorme et
juste avantage de mettre fin à l'orientation arbitraire et contre
nature de la création artistique en France, c'est-à-dire d'en finir
avec une forme d'art officiel.
De la même façon comme, et
semble-t-il c'est devenu de notoriété publique, on n'apprend plus
rien dans les écoles d'art, fermons celles-ci et remplaçons-les par
des écoles techniques des arts, ce qui fut d'ailleurs le cas à
l'origine de la création des écoles - techniques - des Beaux-Arts. Peu après 1968, sont également apparues
en concurrence aux écoles d'art, les filières universitaires d'arts
plastiques qui n’offrent, hélas, aucune perspective de débouchés
mis à part l'enseignement – universitaire ! Moins significatif en terme d'économie
mais au combien symbolique, mettons fin aux libéralités
fiscales des Fondations, de certaines Associations, et taxons les
ventes des œuvres d'art lorsqu'elles atteignent des prix qui les
associent à de véritables produits de luxe ou de spéculation. A titre d'exemple, ce sont 600 millions
d’euros d’argent public donnés à la Fondation Vuitton, au titre
de la défiscalisation, pour faire finalement de la publicité aux
divers produits de la marque, sans oublier, par la même occasion,
d'entretenir la cote des œuvres d’art de la collection Pinault.
Pour mémoire : En 2019, l’effort public en faveur de
la culture sera conforté, pour atteindre environ 10 Md€. Il
s’agit du plus important budget jamais obtenu pour la politique
culturelle, ce qui marque la priorité que le Président de la
République et le Gouvernement accordent à la culture. Ce budget
traduit une volonté de transformation, au profit d’un service
culturel de qualité qui prenne en compte les attentes d’émancipation
individuelle ; la nécessité de cohésion sociale et de dynamisme
économique de nos territoires ; la révolution des usages mais aussi
le respect de la création et des créateurs ; et l’exigence de
simplification dans la façon dont l’État accompagne la mise en
œuvre de projets. Les ressources publiques affectées à l’audiovisuel public
s’élèveront à 3,86 milliards d’euros ; les dépenses fiscales
en faveur de la culture et des industries culturelles et créatives
devraient atteindre 1,5 milliard d’euros ; les ressources fiscales
consacrées au cinéma, à la production audiovisuelle et aux jeux
vidéo – et affectées au Centre national du cinéma et de l’image
animée – seront de 679 millions d’euros. Les autres taxes
affectées – pour le Centre national de la chanson, des variétés
et du jazz, et, l’Association pour le soutien au théâtre privé –
s’établiront à 58 millions d’euros. Le Centre national du livre
sera désormais financé par subvention budgétaire suite à la
décision du Premier ministre.
Source/ Ministère de la Culture
1) École de New-York : Morris
Louis, Kenneth Noland, Robert Motherwell...
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Le Gilet Jaune iconoclaste
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