L’ART
CONTEMPORAIN ET SES INSTITUTIONS AVANT- PROPOS
L'Art, de
tout temps, a principalement été le fait du "Prince" et
dans
les années 80 l’Etat français a décidé de renouer avec une tradition, chère à
l'Ancien Régime mais aussi à
la Troisième République, celle de l’achat et la commande publics. L’Art
académique ou "Pompier" d’alors se devait de respecter les critères dictés par
l’Académie des Beaux-Arts. Aujourd’hui, la Délégation aux Arts Plastiques (1),
nouvelle instance de tutelle du goût, adopte des règles plus internationales
mais dans le genre toutes aussi strictes et, généralement, elle ne considère comme vraiment
contemporaines et digne d’attention que les oeuvres à caractère
conceptuel, cela, au détriment de la peinture au sens propre du terme.
Les
artistes - non plasticiens - avec en tout premier lieu ceux qui
demeurent attachés à la peinture figurative (il ne s’agit pas ici d'une figuration
traditionnelle qui possèdera toujours des amateurs), se trouvent donc la plupart du
temps oubliés, voire dévalorisés, par les institutions soutenues par cette
Délégation aux Arts Plastiques. Afin de réagir à cette nouvelle forme de pensée unique, d’art
officiel pour certains, il semble opportun et sans doute même
indispensable : - tout d’abord d’analyser la motivation qui gouverne les
héritiers spirituels de Marcel Duchamp (2) - de décrire le fonctionnement des lieux publics qui
encouragent et acquièrent leurs créations - enfin de donner ponctuellement un point de vue différent
aux principes d'ordinaire admis.
Pour
débuter cet essai sur l’art contemporain, divisé en deux parties composées
chacune de courts chapitres, il est sans doute bon aussi de rappeler la
position de Kant sur l’esthétique et la notion de goût, laquelle peut encore
servir de repère. Ensuite,
il paraît plus intéressant d’insister sur le rôle des pouvoirs publics qui
interviennent de façon assez peu démocratique, plutôt que de
souligner les excès d’une avant-garde pouvant après tout s’inscrire dans une
logique de l’évolution des arts. Si
l’art contemporain semble un terrain difficile la peinture même, dès
lors qu’elle s’éloigne des créneaux post-impressionnistes, régionaux ou
décoratifs, se trouve également confrontée à des problèmes de marché. On peut alors
légitimement se demander pourquoi une aide particulière est attribuée aux
installations, à l’art minimaliste et conceptuel, avec le risque de
voir ces tendances artificiellement "surreprésentées".
En
second lieu, afin de mieux cerner la situation actuelle, il s’avère utile
d’énumérer et de commenter brièvement les mouvements importants qui se sont
succédés et qui ont marqué l’histoire de l’art. Le
choix des références à l’École Hollandaise ou à l’École néoclassique, outre une inclination personnelle, se justifie
aussi par le succès, jamais démenti, des expositions consacrées
aux grands peintres comme celle de Vermeer à La Haye, au printemps 1996 ou,
dix ans après, celle d'Ingres au musée du Louvre. A partir de là, on
arrivera progressivement, en passant par les courants qui ont contribué à la
remise en question des principes établis, au thème essentiel : "l’art contemporain et ses institutions". Ce
retour au passé permettra sans doute de mieux saisir l’évolution, finalement logique, qui
conduit à la liberté totale d’interprétation et d’expression, dont
l’aboutissement absolu pourrait s’apparenter au "Carré Blanc" pour
l’abstraction et à "l’Urinoir" pour le conceptuel. Ce retour montre
également que la valeur esthétique, retenue jusqu'à présent par l'histoire de l'art, réside pour une grande part dans un équilibre
subtil entre originalité et référents incontournables.
Le
musée d'art contemporain de Lyon a inauguré sa première
exposition le 15 novembre 1996.
DE L’ACADEMIE DES BEAUX-ARTS
A LA DELEGATION AUX ARTS PLASTIQUES
Par
ailleurs, cette étude s’appuie souvent sur une comparaison avec
l’art académique du XIXème siècle,
notamment sur la similitude entre l’ascendance exercée par l’Institut d’hier et
le poids déterminant dont bénéficie la Délégation d’aujourd’hui. A
cet égard, l’Académie de France à Rome (3),
à travers son actualité et son histoire, semble cristalliser en partie l’emprise qu’ont toujours
exercé
sur les Arts certains réseaux d’influence et peut parfaitement faire office d’introduction.
Cette
fondation, créée sous Louis XIV, se propose d’offrir à de jeunes artistes méritants
la
possibilité de parfaire leur éducation artistique et historique au contact de
Rome et de son riche passé culturel. Comme contrepartie, imposée par la nécessité de répandre
en France des modèles d'étude, les
pensionnaires de
Rome ont alors pour principal devoir d'envoyer moulages et copies des oeuvres
classiques. Après le pillage de son premier lieu d’accueil, le Palais Mancini,
l’Académie s’installe définitivement, en 1803, à la Villa Médicis et passe désormais
sous
la tutelle exclusive de l’Institut de France qui délègue à une de ses composantes,
l’académie des Beaux-Arts (4), le soin d’organiser le concours pour les Prix de
Rome, attributifs des bourses de séjours à la Villa Médicis. La musique et la gravure rejoindront ultérieurement la peinture, la
sculpture et l'architecture, les seules disciplines initialement
admises à concourir. La Villa Médicis de Rome a ainsi accueilli entre autres
célébrités : Ingres, Carpeaux, Garnier, Berlioz, Gounod...
Au
XIXème siècle et jusqu'au
milieu du siècle dernier, l’Institut avec son académie des Beaux-Arts constitue un véritable tremplin pour la
reconnaissance sociale du lauréat. Alexandre Cabanel (1824-1889), Grand Prix de
Rome de peinture en 1845, accède de cette façon à une carrière officielle,décorations à l'appui,
comme membre de l’Institut et professeur aux Beaux-Arts. Napoléon III est un de
ses très fidèles admirateurs et commanditaires. Cabanel, par sa notoriété et
comme membre du jury, contribuera à peser sur la sélection des oeuvres
et
à maintenir le Salon dans un genre académique bien spécifique, en écartant en particulier Manet et les impressionnistes avec leurs paysages
- Tout au moins pour un certain temps. En
effet, selon les règles sévères de la peinture académique et de
l'enseignement néo-classique alors en vigueur à l'école des Beaux-Arts
- déterminant pour le Prix de Rome - le thème
d'un tableau de grand-style devait provenir obligatoirement de la Bible, de l'Antiquité
ou encore de l'Histoire nationale, communiquer un message moralisant
avec signification universelle tout en exaltant la sensibilité d'un
large public. Les autres genres étaient considérés comme secondaires, ce
qui n'empêchera pas l'historicisme, c'est-à-dire la peinture académique
traitant de sujets aux références multiples, de rencontrer un succès
sans cesse croissant.
André
Malraux nomme, en 1961, le peintre Balthus directeur de la Villa Médicis ;
le Prix de Rome commence alors sérieusement à s’affranchir des règles néo-classiques
jusque là admises. A la
suite des événements de Mai 68, l’appellation "Prix de Rome" est
supprimée et, dès lors, on peut se poser la question de la légitimité même de
l'institution. Depuis 1971, après plus d’un siècle de tutelle par l’Institut,
l’Académie de France est rattachée au Ministère de la Culture et les grandes
disciplines traditionnelles, architecture, sculpture, musique et
surtout peinture, prennent une importance des plus relatives. De
nos jours, le mode de sélection des futurs pensionnaires n’est plus clairement
établi, il repose essentiellement sur la constitution et l'examen subjectif
d'un
dossier personnel. En tout cas, il ne se fonde plus sur des lois académiques considérées
comme définitivement dépassées et encore moins sur la reconnaissance d'un public,
forcément profane. Chaque année, pour chacune des disciplines présentes à la Villa,
une présélection est effectuée par des rapporteurs mandatés par
la Délégation aux arts plastiques. Ces rapporteurs sont
incités à faire appel à des candidats dont ils connaissent déjà le
travail, aussi ont-ils une naturelle tendance à soutenir leurs candidatsau détriment des autres. Concrètement,
il y a donc
deux
modes de recrutement : le premier avec des candidats parrainés et l'autre avec
des prétendants libres, d'emblée défavorisés, ce qui s'apparente assez
à une forme de copinage. Ce qui ne devrait pas être.
Désormais, la Villa Médicis ne semble plus
présenter pour les artistes une caution suffisante de réussite, mais l'établissement assure encore
un lien avec les réseaux d'influence de l'art et permet sans doute toujours d’obtenir un
poste
d'enseignant-fonctionnaire dans une institution à caractère plus ou moins culturel. En sachant que la nomination au poste
envié de directeur se fait par décret du chef de l'Etat, elle offre
surtout des opportunités de reclassement à quelques
hauts fonctionnaires ou conseillers politiques, ce qui peut expliquer aussi que même
devenue inutile et sans objet, la suppression
de la Villa Médicis ne figure pas à l'ordre du jour pas plus que
sa vente ou sa restitution aux italiens.
Naissance
de Vénus, Alexandre Cabanel, 1863
Appréciée
par la majorité du public et de la critique, achetée au Salon
de 1863 par Napoléon III, La Vénus de Cabanel est bien représentative du goût officiel du Second Empire.
Souvent comparée à l'Olympia de Manet, peinte la même année, La
Naissance de Vénus puise dans le répertoire académique de la mythologie
et affiche une vision érotisée de la femme, selon les canons de
beauté en vigueur à l'époque : ronde, blanche et souple.
1928,
Palais des Beaux-Arts - Paris P.Landowski - L'hymne à l'aurore
Paul Landowski (Paris,
1875 - Boulogne-sur-Seine, 1961). Membre de l'Académie des Beaux-Arts en
1926, puis directeur de l'Académie de France à Rome de 1933 à 1937, il
est un
des sculpteurs officiels de la Troisième République et l'auteur du fameux Christ rédempteur de Rio de Janeiro. Son
art cherche à conjuguer dans un même idéal classique de beauté, la forme
et l’idée.
La
caractéristique de l'art académique réside à la fois dans le fini des éléments
peints très figuratifs et dans leur précision, cette conception se trouve à
l'opposé de la théorie moderne où tout tend à s'abstraire et à se suggérer avec
une finition souvent très secondaire. Cette conception est encore associée par
dérision à un simple artisanat habile, soi-disant signe d'un manque de talent et
d'originalité. La peinture académique, émanation directe des règles strictes
du classicisme et du néoclassicisme, constitue en quelque sorte l'antithèse
exacte de l'art contemporain mais avec toutefois un point commun de
taille : - celui d'être ou d'avoir été soutenu par des institutions
officielles. Et une différence d'importance : - l'adhésion du public
d'alors pour la peinture académique mais le rejet ou l'ignorance de l'art
contemporain par le public d'aujourd'hui. Le
parallèle entre la situation des artistes officiels d'aujourd'hui, c'est-à-dire
les "conceptuels-minimalistes", avec ceux du Second Empire et de la Troisième
République, les "pompiers ou académiciens", est devenu incontestable et l'on
peut parfaitement penser que cet "art contemporain" connaîtra lui aussi
un inévitable discrédit. Par ailleurs, le dénigrement souvent entretenu de
l'art académique et ses spécificités comme le métier, la tradition, la
figuration extrême, servent de repoussoir et d'alibi à l'innovation pour
l'innovation. Pour certains, il représente uniquement l'art de la bourgeoisie
conservatrice, hostile à toute forme de changement ; mais on pourrait tout
autant, voire davantage puisque peu populaire, qualifier l'art contemporain
d'également très bourgeois. A ce titre, la collection de l'homme
d'affaires François Pinault, avec les oeuvres des derniers artistes à la mode
comme Jeff Koons ou encore Damien Hirst et composée surtout d'artistes
américains minimalistes et conceptuels, ne synthétise-t-elle pas, à la
caricature, le type même de la collection du bourgeois bien arrivé et pour le
moins sous influence ?
1) La Délégation aux Arts Plastiques du
Ministère de la Culture définit et met en oeuvre la politique de l'Etat dans le
secteur des Arts Plastiques. Elle contribue à déterminer l'aide aux créateurs,
les acquisitions et les commandes. Elle se charge notamment : de la
coordination des procédures de commandes publiques, des questions relatives aux
professions agissant dans le domaine des Arts, de l'orientation de la formation
ainsi que des relations avec les établissements d'enseignement artistique. A titre d'exemple sont
placées sous la tutelle de la Délégation : l'Académie de France à Rome, l'Ecole
Nationale Supérieure des Beaux Arts, celle des Arts Décoratifs... Cette structure a comme
mission d'assurer auprès du public la diffusion, en principe, de toutes les
formes d'expressions plastiques. Toutefois, elle comporte un département
spécifique en faveur des Centres d'Art et des Fonds régionaux d'art contemporain.
2) Marcel Duchamp : 1887-1968. Il annonça le
mouvement Dada dès 1913, avec ses "Ready-made". Par exemple un
séchoir à bouteilles placé dans un musée en tant qu'oeuvre d'art. Ses conceptions
influenceront plusieurs
courants de l'art actuel et serviront même de modèle à suivre dans tous les Centres
d'art.
3) Arts Info - Mars 1996, n° 78. Les disciplines admises à l'Académie de France
à Rome, pour des séjours variant désormais de 6 à
24 mois, se sont énormément diversifiées. Des secteurs tels que la scénographie,
les lettres ou même les arts culinaires sont aujourd'hui représentés. Arts Info
est la revue
officielle de la Délégation aux Arts Plastiques, dédiée à la promotion de l'art
conceptuel et minimaliste, elle a vu son dernier numéro paraître
en janvier 1997. La plupart des photographies qui
suivent proviennent de cette revue.
André Malraux, profitant de son statut d'homme entré vivant dans l'Histoire,
coupe en 1968 le cordon ombilical de la villa Médicis avec l'Académie des Beaux-Arts et
adjoint à sa mission traditionnelle de formation des artistes,
dite « Mission Colbert », celle de vitrine en Italie de la culture française,
dite désormais « Mission Malraux ». La réforme de 1971 a permis la survie de
l'institution mais au prix d'un fonctionnement qui a perdu une bonne part de
sa cohérence, et qui semble assurer difficilement l'articulation entre les
fonctions assignées à l'organisme. Aujourd'hui, une révolution complète s'est produite. Loin
d'être associée, au moins dans les milieux culturels, à l'idée d'académie et
donc de conformisme, la Villa Médicis, grâce à la réforme voulue par André
Malraux mais mise en oeuvre par Jacques Duhamel, s'est trouvée lavée de son
péché originel d'académisme. La réforme de 1971 a procédé à des changements importants. A
côté des artistes relevant de l'Académie des Beaux-Arts, elle a admis écrivains,
photographes et cinéastes, tandis qu'elle accueille désormais des
historiens d'art et des restaurateurs. S'y sont progressivement ajoutés au cours du temps, des
designers et des scénographes et même, tout récemment, des cuisiniers dont on a
d'ailleurs considéré qu'ils pouvaient être accueillis sans modification des
textes ! Cette réforme constitue à bien des égards un renversement
par rapport au système antérieur. La Villa voit ses missions élargies, tandis
qu'il n'y a plus de « prix de Rome », mais de simples pensionnaires, largement
dégagés des contraintes autrefois attachées à leur qualité de lauréat.
Votre rapporteur spécial ne peut pas s'empêcher de penser que
cet élargissement des disciplines admises à la Villa Médicis reflète plus un état de crise qu'une vraie dynamique. Sans souscrire pour autant aux propos de Renaud Camus tirés de
son « Journal romain », selon lesquels, « Tout respire la survie, la
difficile survie, d'une institution jadis éclatante, et qui se prolonge tant
bien que mal, sur le merveilleux théâtre usé de sa splendeur passée »,
votre rapporteur spécial a jugé la situation suffisamment préoccupante et les
enjeux symboliques suffisamment importants pour que l'on évite de laisser
perdurer un processus conduisant à la désagrégation d'une institution qui a fait
la gloire de notre culture. La situation de la Villa est exceptionnelle, la rente de ceux qui en profitent
également, qu'il s'agisse des pensionnaires ou des gestionnaires. Toute la
question est de savoir quelles sont les contreparties d'un tel privilège et
comment le redistribuer au mieux, en assurant à la fois égalité de traitement des individus et
égalité de rendement des fonds publics. Il convient de donner, au moment où l'Europe est de plus en plus menacée par le
modèle culturel américain, une nouvelle impulsion à la mission dite « Malraux ».
Il faut assurer la cohérence de l'institution par des moyens
multiples ayant pour
objet de parvenir, soit à une plus grande homogénéité des pensionnaires grâce à
une réforme des procédures de sélection et d'obligation, soit à une meilleure articulation avec
les actions culturelles entreprises dans le cadre national... L'examen des résultats obtenus par les expositions organisées à
la Villa Médicis démontre clairement qu'il y a trois catégories de
manifestations : les expositions d'art français du XIXème et du début
du XXème siècles qui rencontrent un très vif succès, les expositions
d'art classique du XVIème au XVIIIème siècles, qui
connaissent un succès inégal mais en général honorable, les expositions d'art
contemporain, qui se révèlent, du point de vue de la fréquentation, des échecs
flagrants...
M. Yann Gaillard a voulu d'emblée poser une question
fondamentale : quel est le sens, aujourd'hui, d'une telle institution, à partir
du moment où la création tend à s'affranchir de toute tradition, et où Rome
n'est plus, même à l'échelle de l'Italie, un centre actif de création ? Indiquant qu'il avait pu constater, au cours de sa visite à la
Villa, que les pensionnaires évoluaient dans un monde sans obligations ni
sanctions, et que cette liberté ne suffisait pas à les satisfaire de la
condition qui leur était offerte par la Villa, le rapporteur a indiqué qu'il
existait une disparité évidente entre la situation des pensionnaires à carrière
et celle de ceux qui n'en ont pas, bref, entre les pensionnaires protégés et
ceux qui ne le sont pas, distinction recouvrant largement celle entre les
fonctionnaires - ou les futurs fonctionnaires - et tous les autres.
4) Une ordonnance de 1663 confie à
l'Académie des Beaux-Arts l'organisation du Salon. Vers la fin du XVIIIème,
elle exerce une sorte de monopole sur l'éducation artistique. A partir du début
du XXème siècle, le style académique sera progressivement dévalorisé
notamment avec l'émergence, dès 1945, du phénomène de l'art moderne
et abstrait, avant de connaître une
réhabilitation partielle grâce à l'ouverture du Musée d'Orsay en 1986.