Les Ateliers réservés aux jeunes femmes
Dès la fin du XIXème siècle, des ateliers sont réservés aux jeunes femmes dans la plupart les grandes villes occidentales
Paris, ateliers Raphael Collin - 1892
1906 - Photographie prise de l’atelier Ferdinand HUMBERT à l’École des Beaux-Arts de Paris
Paris, début de siècle, le centre incontournable des Arts pour les jeunes femmes - L'atelier de l'américain Henry Mosler à Paris
On prend également la Pose dans l'atelier du photographe Nadar
La création des ateliers réservés aux jeunes femmes, prémices d'une réelle mixité des écoles des Beaux-Arts ?
A Paris, bien entendu, ou comme ici aux Beaux-Arts de Nantes en 1908, avec son premier Directeur-fondateur le peintre Emmanuel Fougerat
A partir de 1896, les jeunes femmes auront la possibilité de fréquenter la bibliothèque de l'Ecole des Beaux-Arts de Paris et pourront aussi assister aux cours magistraux de perspective, anatomie et histoire de l'art, à condition qu'elles aient bien rempli certaines conditions d'admission.
Elles doivent formuler une requête écrite, être âgées de quinze à trente ans, et présenter un acte de naissance ainsi qu'une lettre de recommandation d'un professeur ou d'un artiste confirmé. Pour les prétendantes étrangères une lettre de leur consulat ou de leur ambassade...
La mixité aux Beaux-Arts
BEAUX-ARTS de Nantes - Emmanuel FOUGERAT
La mixité en 1910, juste avant la grande guerre, n'est pas vraiment de mise. Seul le professeur est de sexe masculin. Après la guerre en juillet 1918, pas davantage...
Une des photos montre des jeunes femmes élèves posant autour d'Emmanuel Fougerat, directeur, dans un atelier de modèle vivant.
Professeurs, employés et élèves posent sur le perron de l'hôtel de Briord donnant sur la cour de l'école. Année scolaire 1905-1906. Emmanuel Fougerat est assis au milieu de ses quatre collègues enseignants. On remarquera la présence de très jeunes élèves et de deux appariteurs en uniforme. Dès 14 ans on pouvait en effet être admis dans ces écoles pratiques où la théorie était alors très secondaire et jamais plus importante que l'enseignement du savoir faire pratique et technique.
Ecole Nationale des Beaux-Arts de PARIS, 14 rue Bonaparte
Atelier officiel de Peinture pour élèves femmes créé en 1905, arrêté du 09 juillet 1900
Les professeurs : HUMBERT - PRINET - SABATTÉ - UNTERSTELLER - BRIANCHON - MATTEY DE L’ÉTANG
Ferdinand Humbert 1842 - 1934
Chef d’atelier de Peinture destiné uniquement aux étudiantes de 1905 à 1929 - Atelier Officiel de Peinture pour élèves femmes créé en 1905, arrêté du 09 juillet 1900. André Devambez sera nommé dans un premier temps comme le successeur de Ferdinand Humbert.
Les premières étudiantes lauréates au concours du Prix de Rome de Peinture sont issues de l’atelier Humbert :
Fernande CORMIER, 1er Second Grand Prix en 1919
Renée JULLIEN, 1er Second Grand Prix en 1923
Odette PAUVERT, 1er Grand Prix en 1925
Lucienne LEROUX, Mention en 1926
Madeleine LEROUX, 2ème Second Grand Prix en 1927
René-Xavier Prinet 1861 - 1946
Il devient professeur aux Beaux-Arts de
Paris où il participe à la création et dirige le premier atelier destiné aux artistes
femmes, Il est élu en 1943 à l'Académie des beaux-arts. Il a
notamment pour élève l'artiste peintre d'origine australienne
Bessie Davidson.
Fernand Sabatté 1874 -1940
À partir de 1926, il enseigne la
peinture, d'abord à l'École des beaux-arts de Lille jusqu'en 1929,
puis à l'École des beaux-arts de Paris. Il a pour
élève Louise Cottin, lauréate d'un second prix de Rome en 1934 et
Irène Kalebjian, premier deuxième grand prix de Rome de peinture
en 1935.
Nicolas Untersteller 1900 - 1967
Membre de l'Académie des beaux-arts,
Nicolas Untersteller enseigne la fresque à l'École des beaux-arts
de Paris en 1937. Il est nommé membre du Conseil supérieur des
beaux-arts de Paris en 1940. De 1941 à 1948, il est professeur, chef
d'atelier de peinture et compte parmi ses élèves Henriette Lambert.
En 1948 il est nommé directeur de l'École nationale supérieure des
beaux-arts.
Maurice Brianchon 1899 - 1979
En 1949 Brianchon est nommé
professeur-chef d’atelier à l’Ecole des beaux-arts de Paris. Il
y enseigne pendant près de vingt ans.
Pierre Matthey 1927 - 2014
En 1968, il devient chef d'atelier de
peinture à l’École des beaux-arts de Paris, poste qu'il occupera
jusqu'en 1992.
L'ouverture de l'Ecole des Beaux-Arts, relativement peu sélective, est très appréciée non
seulement pour son émulation mais surtout pour son prix de revient subventionné.
Rappelons qu'alors, seuls les ateliers ou académie privés offraient
quelques possibilités d'études aux femmes-artistes mais avec des
coûts élevés, généralement deux fois supérieurs à ceux demandés
aux étudiants masculins.
C'est
en 1900, onze ans après la première demande formelle d'admission
aux Beaux-Arts déposée par Madame Bertaux, que les femmes pourront
entrer dans un atelier de l'Ecole ; atelier qui leur sera tout
spécialement
destiné. Celui-ci, sera codifié comme ses homologues masculins et
réglé dans ses moindres détails par des instructions réparties en
quarante deux articles.
Pour suivre la tradition établie, un
massier ou plus exactement une massière, représente les intérêts
des élèves de l'atelier. Cette responsable dispose de certains
pouvoirs, elle est habilitée à entretenir un lien entre les étudiantes
et le professeur Humbert, membre de l'Institut, à lui poser des
questions, à risquer quelques objections. Le choix des modèles et
de leurs attitudes, plus ou moins longues en fonction de l'étude
envisagée, étaient déterminés à la majorité, la massière se contentant
d'officialiser matériellement le choix par des marques à la craie
sur l'estrade
réservée à la pose. Celle-ci pouvait encore intervenir lors d'une
éventuelle concurrence concernant la meilleure place, la meilleure
lumière pour dessiner, pour peindre.
Trois ans après la fondation
de cet atelier, en 1903, les femmes furent autorisées à se présenter
au Prix de Rome et la première à l'obtenir fut Lucienne Antoinette
Heuvelmans, Prix de Rome de sculpture avec "La soeur d'Oreste
défendant le sommeil de son frère", en 1911.
Il n'y aura
qu'un seul atelier de ce type jusqu'à la fin des années vingt. Les
jeunes femmes artistes prendront en quelque sorte leur revanche
dès les années soixante-dix, et deviendront même majoritaires
au niveau des effectifs à la fin des années quatre vingt.
Atelier Sicard, cours de modelage et sculpture, École des Beaux-Arts, Paris vers 1927.
Les élèves femmes
en blouse et cheveux courts, mode oblige, sont autour de leur professeur, barbu comme il se doit !
Photographie
de l’atelier PRINET
Lorsque Madeleine Fessard entre aux
Beaux-Arts en 1917, les femmes n’y sont alors admises qu’avec de nombreuses
restrictions et il s’agit d’un cursus encore rare pour une femme.
En effet,
créée en 1796, l’École des Beaux-Arts ne s’ouvrit aux femmes qu’en 1897, mais
sans qu’elles puissent toutefois accéder aux ateliers et aux concours, ce qu’elles obtiendront en 1900 et 1903.
Leur entrée « en loge » pour le prix de Rome fut accordé pour la première fois à Lucienne Heuvelmans en 1906, qui obtiendra le Premier grand prix de Sculpture en 1911. Dans les années vingt, le nombre de leur entrée « en loge » pour le prix de Rome reste limité, et les conditions qui leur sont faites ne sont pas toujours équitables. L’accès aux mêmes ateliers que les élèves hommes leur reste
notamment fermé pour « inconvenance ».
Madeleine entre en 1917 dans l’atelier
de Marqueste. Elle est également mentionnée parmi les élèves femmes de Ségoffin.
Elle figure aussi sur la liste des élèves de François Sicard , prix
de Rome, qui sera le créateur du Monument aux Morts de Fécamp. Reçue à
titre temporaire pour présenter le concours du Prix de Rome le 13 mai 1921, elle le sera à titre définitif le 8 décembre
1924, grâce à une troisième seconde médaille au concours de la figure
modelée.
Cf/ L'Entrée des femmes à l'Ecole des Beaux-Arts 1880-1923 - Marina Sauer - énsba-a 1991 / Les Musées de Haute-Normandie
Rodolphe Julian
Une séance de modèle vivant dans l'atelier dirigé par Maître Bouguereau, entouré par ses élèves exclusivement féminines, à l'académie Julian
Certes, en écrivant cette délicate comédie, "la Massière", que l'Illustration va publier dans un de ses plus prochains numéros, Monsieur Jules Lemaitre n'eut pas un seul moment la pensée de donner une pièce à clef, et la malignité des spectateurs chercherait en vain à mettre un autre nom, connu, sur la figure de Marèze, bon peintre et brave homme, en dépit de sa pointe de fatuité. Toutefois, les artistes, tout Parisien ayant côtoyé, si peu que ce soit, le monde des arts, ont reconnu sans peine le cadre pittoresque et amusant où se déroule une partie de la pièce: «l'atelier Justinien» du premier acte, c'est, bien évidemment, l'un des ateliers de l'Académie Julian.
Les cinq massières des
ateliers Julian - Photographies Bouffar - et Mlle Marthe Brandès
Et on l'a si bien vu qu'on a, dès le premier jour, rappelé que la principale
interprète de la Massière était dans des conditions excellentes pour jouer au
naturel toute une partie du rôle. Mlle Marthe Brandès, en effet, fut
elle-même élève de l'Académie Julian.
Elle eut sa place, son tabouret de bois grossier, son chevalet, dans le
demi-cercle des jeunes filles, plus ou moins appliquées, groupées autour de la
table à modèle. Elle connut, bien avant de jouer leur rôle au théâtre, des
massières, de vraies massières, qui lui arrangeaient ses petites natures mortes,
au besoin lui corrigeaient ses dessins, la conseillaient, si elle le demandait,
remplissaient, avec zèle, en bonnes camarades, le rôle de «moniteurs».
Elle passa. Brilla-t-elle ?
Je le demandais l'autre jour à M. Rodolphe Julian lui-même, le fondateur de
cette école libre qui, autant, plus peut-être, que l'officielle École des
beaux-arts, a contribué à faire de Paris un centre unique pour l'enseignement
artistique, a dérivé, capté les courants qui portaient jadis les jeunes artistes
désireux d'apprendre leur métier vers l'Italie, vers l'Allemagne, à Munich, à
Dusseldorf.
Quels souvenirs charmants à feuilleter que ceux de M. Julian ! Que de
gracieuses, d'exquises silhouettes il évoque, rien qu'à prononcer les noms de
quelques-unes de ses élèves : de la plus tapageusement célèbre de toutes,
Mlle Bashkirtseff, à la princesse Terka Iablonovska, aujourd'hui
Mme Maurice Bernhardt ; de Mme Jules Ferry à
Mlle Canrobert, qu'accompagnait souvent le maréchal lui-même ; de
Mlle Carpeaux, la fille du génial sculpteur, à Mlle Cécile
Baudry, héritière aussi du nom d'un grand artiste; et Mme la
princesse Murat, et Mme Henri Rochefort, condisciples à l'atelier de
MM. Bouguereau et Gabriel Ferrier, rue de Berri ; sans oublier la comtesse Demidoff et miss
Maud Gonne, Mlles Basponi, nièces de la princesse Mathilde, et
Mlle Pauline de Bassano, mêlées à des femmes peintres célèbres
d'aujourd'hui ou de demain, à Mme Jacques Marie, à Mme
Baudry-Saurel, femme aujourd'hui de Rodolphe Julian lui-même et professeur à l'école, à
Mlle Louise Breslau, à cette exquise Mlle Dufau...
Mais Mlle Marthe Brandès, insistai-je.
Elle resta, dit M. Julian, peu de temps notre élève. Elle eut pour maître
Cot, l'auteur de la populaire Mireille, et je crois, Tony Robert Fleury.
Elle était douée, en vérité. Peut-être courait-elle trop de lièvres à la fois,
travaillant de front le chant, la peinture, la comédie. Elle eut son prix au
Conservatoire. Elle nous quitta. Mais elle était délicieuse. Au milieu même de
cette phalange de jeunes et jolies Américaines qui emplissait l'atelier, elle
rayonnait. Elle était la beauté, le charme, le printemps !
Et, ainsi, l'on pourrait dire, paraphrasant l'épitaphe antique «Elle dessina et plut». G. B.
Atelier Emmanuel Fougerat aux Beaux-Arts de Nantes 1910 - 1918
Laurent Marqueste, Prix de Rome comme ses collègues enseignants, dans sa classe - féminine - à l'École des Beaux-Arts de Paris, avant 1914
Vers 1920 "Women's Life Painting", à l'Académie de Pennsylvanie comme ailleurs des ateliers féminins sont ouverts.
Photographies d'étudiantes posant avec leur professeur Philip Hale, comme toujours à cette époque un homme.
ENSAD, les Arts Déco, dans les années 20. Comme aux Beaux-Arts, la blouse très souvent blanche et plus ou moins tachée reste de rigueur, l'enseignement reste quant à lui très scolaire.
L'une des premières jeunes femmes, Fernande Cormier, second grand Prix de Rome en 1919.
Fernande Cormier a étudié avec Ferdinand Humbert et Emile Renard. Elle expose au Salon des artistes français à Paris dont elle est membre et au Salon d'automne.
Odette PAUVERT, 1er Grand Prix de Rome de peinture en 1925
Comme son père, Odette PAUVERT intègre l’École des beaux-arts de Paris en 1922, pouvant ainsi bénéficier de ses conseils et réseaux. Lauréate de la médaille d’argent au Salon des artistes français en 1923, et de la médaille de bronze l’année suivante, elle multiplie aussi les récompenses à l’école : en 1925, à l’unanimité des voix moins deux – Forain et Besnard, deux jurés particulièrement misogynes considérant qu’une femme ne pouvait prétendre à une telle récompense –, elle devient la première peintre femme à recevoir le premier Grand prix de Rome de peinture avec "La Légende de saint Ronan".
Paris, fin décembre 1935 - Extraits des écrits de Suzanne Humbert 1913-1952
A l'atelier ça va très mal. Le patron m'a encore fait une scène, il paraît que je suis « vidée » (provisoirement), « qu'on n'est pas des chevaux », que c'est faiblard et maladif, qu'il faut que je reste un bout de temps sans rien faire, sans penser à la peinture. Il est bon, lui, quoi faire alors ? Si au moins j'étais sûre que ça me recharge…
Dans les années trente, entre jeunes femmes on s'entraide, on sélectionne et prépare soigneusement l'accrochage d'ailleurs avec ou sans l'avis du "Patron" ?
L'atelier de M. Maury à l'Académie Julian, 1935, Suzanne Humbert est assise au centre
L'atelier D'Espagnat aux Beaux-Arts, 1938 ou 1939 (Suzanne Humbert, 3ème au 1er rang)
Paris, mars 1937, préparation du concours d"entrée à l'Ecole des Beaux-Arts
Hier et avant hier j'ai travaillé toute la journée, pas fiévreusement, plutôt en amateur, presque comme si je lisais un roman. Ça n'est pas ennuyeux, mais alors je me reproche de gâcher presque un temps que je pourrais employer à retenir de substantiels condensés. Mais à quoi bon puisque cette nuit j'ai rêvé de ce bienheureux concours : on nous distribuait des feuilles de papier Ingres format cartes de visite et on nous disait de faire tenir le modèle entier dedans. Je me désolais parce que je n'aime pas le genre miniature, et puis je n'avais pas de fusain, pas de fil à plomb. J'étais refusée…
… j'ai
fait à l'atelier de litho quelques bons croquis d'après un modèle
et un grand dessin rehaussé de pastel, pas mauvais. Cette semaine,
pas de modèle, mais nous avons entrepris, Fesneau, Le Pesqueux,
Sonia, Arvaux (un petit jeunet, « le fou de la rue des
Saints-Pères », l'éclopé du Bal des 4'Z'Arts », et
moi, de déménager en partie l'ancien atelier de litho dans notre
nouvel atelier, encore bien démuni. Nous avons trimbalé des
pierres, des sacs de sable, des tamis, la presse, quelques tabourets.
Il y a encore des tables, des tabourets, l'armoire, etc... mais nous
attendons des nouveaux pour le faire. Et puis hier Mr Jaudon, malade,
ayant téléphoné qu'il ne venait pas, nous avons pris une décision
énergique, et nous avons entrepris de commencer chacune une pierre.
Il s'agissait avant tout de la « grainer ». Là-dessus,
c'était moi la plus calée, et j'avais tout juste entendu Magnard,
l'année dernière, dire à des nouveaux comment s'y prendre. Enfin,
avec un air faussement compétent j'ai fait de belles phrases sur la
grosseur du sable : le 80, le 100, le 120, et des tamis à
employer, et qu'il fallait se mettre sous le robinet, et faire
tourner les pierres l'une sur l'autre, etc... Enfin hier, après un
après-midi de travail de forçat sous l'eau, en appuyant bien fort,
nous avons laissé les pierres 2 à 2 l'une sur l'autre sans les
rincer, avec du sable entre les 2 (toujours sur mes indications).
Aujourd'hui j'étais bien un peu inquiète en arrivant, et les cris
de fureur de Le Pesqueux quand j'ai ouvert la porte n'étaient pas
faits pour me rassurer. Après constatation j'étais moi-même
accablée : les pierres 2 par 2 étaient maçonnées, un vrai
ciment de romain, impossible de les séparer (je ne sais par quel
miracle, puisqu'il n'y avait que du sable et de l'eau). Enfin Arvaux,
avec marteau, ciseau, et beaucoup de ronchonnade, est parvenu après
pas mal de temps et d'essais, à les séparer. Bien entendu, il a
fallu re-grainer le tout.
Le
travail à l'atelier de litho marche bien. La semaine dernière,
d'autorité et sans le Patron, j'ai entrepris une pierre et 3
camarades m'ont suivie dans cette voie. Et en même temps que la
pierre un petit bois et une pointe sèche. Les tirages ! Ça, ça
a été toute une histoire, 3 séances complètes d'après-midi chez
Mr Jaudon en attendant l'imprimeur, avec entre-temps essai autonome
sur la petite presse de l'ancien atelier de l'Ecole déménagé à la
sueur de notre front. Les essais furent épiques, et répétés
plusieurs jours avec beaucoup de fantaisie, sinon de compétence.
Enfin cet après-midi, de 2 h à 6 h ¼, nous avons, Le Pesqueux et
moi, servi d'apprenties à l'imprimeur de Mr Jaudon, chez lui, à sa
grande presse, et les tirages sont assez réussis.
Atelier de lithographie avec la préparation-ponçage de la pierre
A l'Ecole, ce matin, j'ai trouvé de grands bouleversements et je suis perplexe, outrée, révoltée, etc... Sabatté a repris son atelier, où quelques élèves se prélassent, et nous, notre atelier est le dépotoir. Il paraît que samedi (où il est déjà venu corriger) on pouvait lui exprimer l'humble requête de faire partie de son atelier, mais que toutes les filles de moins de 28 ans étaient écartées. Mercredi, lui demanderai-je ? Je n'en ai pas envie du tout, mais chez nous, ce n'est plus tenable. Et puis, D'Espagnat est limite d'âge, mais restera-t-il le temps de la guerre ? Il est reparti hier à Figeac.Enfin je travaille. Je fais de la peinture, de la couture. Je retourne à l'Ecole. Mercredi j'ai mis au point l'affaire Sabatté en prenant les devants et en lui décrétant dans le couloir que je ne voulais pas quitter D'Espagnat et que je ne demandais pas à entrer dans son atelier. J'ai trouvé ça assez astucieux.Lundi matin à l'atelier, où le modèle a une jolie pose : il a d'ailleurs fallu que je montre une certaine autorité pour me placer où je voulais. Je dérangeais un de ces messieurs en face, faisant une tache dans son fond. Non mais, vous vous rendez compte ! J'ai retrouvé toute mon autorité de sous-massière déchue (comme dit Le Pesqueux) et me sentant appuyée par le massier actuel je n'ai pas fléchi.
Gagny, mai 1940
Ici tout est calme, d'un calme
inquiétant. Mais que de tristesse, que de détresse. J'ai commencé
ce matin le service d'accueil des réfugiés.Comment avoir le goût de faire de la
peinture avec tout ça ? Mr Jaudon sent la nécessité de nous
remonter le moral et gentiment vient à l'Ecole plus souvent que
jamais. Il a le don de vous redonner du courage. Hier il m'a annoncé
que ma litho du Salon des Tuileries était achetée par l'Etat, que
j'allais recevoir l'avis officiel, et il m'a conseillé d'envoyer un
mot à Desvallières, ce que j'ai fait le soir même. Pour le
concours annuel de litho, il m'avait chargée de rechercher un peu le
sujet et j'ai trouvé une poésie de Francis Jammes qui a beaucoup
plu à Jaudon et qu'il a tout de suite adoptée. Je me sens très
fière. Nous aurons un mois pour le faire. Mais que serons-nous d'ici
un mois ? Et comment trouver le goût de travailler ? Lundi nous avons fait un concours en
loge – la Résurrection du Christ. Jugement ce matin. En
repassant tout à l'heure à l'Ecole, j'ai été voir l'exposition,
j'ai vu que j'avais la 1ère médaille. Je suis contente. Trémois,
l'as de Sabatté (qui était du jury) est 2ème. Il y avait à peu
près 45 esquisses.
René Prinet devient professeur aux Beaux-Arts de Paris où il dirige le premier atelier destiné aux artistes femmes – Son atelier dans les années trente devient mixte.
L'image de la femme, leurs Ateliers réservés
https://travail-de-memoire.pagesperso-orange.fr/Prix-de-Rome.htm