L'INFLUENCE
DE LA PHOTOGRAPHIE
En 1839, le peintre Paul Delaroche découvrant les
premiers daguerréotypes s'inquiéta sur la concurrence faite à la peinture.
Quelque peu radical, il remarque : "A partir d'aujourd'hui, la peinture est
morte..." Effectivement, le portrait daguerréotypé, en particulier, est très
rapidement prisé par la bourgeoisie qui le considère plus objectif, meilleur
marché et plus moderne que son homologue peint. Les premiers photographes
seront souvent des peintres "reconvertis" qui appliqueront tout
naturellement dans leurs compositions les règles académiques.
Comme
on vient de le voir dans le chapitre précédent,
la découverte de la photographie se trouve sans doute aussi à l’origine de la
réflexion de Cézanne ; non seulement elle a influencé de nombreux autres peintres mais pour quelques uns, elle
a également contribué a simplifier leur tâche. Ce moyen de reproduction apporte par ailleurs une vision inédite, qui engendre une relation
au modèle totalement renouvelée, et le tirage photographique complétera
ou se substituera au modèle vivant proprement dit, délivrant celui-ci
des contraintes de la pose tout en permettant un gain de temps pour
l'artiste. Son utilisation, qui ne trouve véritablement
son essor qu'avec l'exploitation des techniques sur papier, se démocratisera
rapidement et sera vite adoptée par certains peintres qui remplaceront
par
ce médium rapide et commode les nombreuses études auparavant dessinées,
parfois déjà par le truchement de la chambre obscure. (1) Les modèles employés
jusque là, amateurs comme professionnels,
serviront tout
naturellement de modèle
aux photographes qui pourront par ailleurs être les peintres eux-mêmes : Ainsi,
Mlle
Hamély posa pour Delacroix, Durieu et Nadar. Courbet, le parfait exemple d'un
artiste sachant utiliser la photographie pour mieux s'en affranchir et créer le
réalisme, employait le même modèle que le photographe Vallou de
Villeneuve. Ces
pionniers de la photographie, par leur formation
académique et à cause des canons de l'époque, influenceront tout naturellement
le
choix de la pose, de la composition et de l'éclairage, et bien qu'en
général plus sobre et moins exubérante, l'académie photographiée de la seconde
moitié du XIXème siècle présentera très
souvent une analogie avec l'académie peinte de la même èpoque.
Les
nus photographiques, obtenus facilement, se substituèrent progressivement dans
plusieurs ateliers privés aux traditionnels modèles vivants, peu
malléables et surtout bien plus coûteux. En effet, l'étude du corps
humain qui, jusqu'alors, se faisait principalement par la copie que l'artiste
débutant ou confirmé, à défaut de moulages antiques ou de modèle vivant,
trouvait dans des recueils spécialement prévus à cet effet, avait naturellement pour
conséquence fâcheuse d'imposer et de trop diffuser un même type de pose. La toute
nouvelle
photographie quant à elle, par ses clichés multiples autant que différents, ne présentait pas
bien entendu cet inconvénient.
Dès
1850, apparut donc en France un marché d'épreuves variées, à
destination des artistes afin de faciliter leur travail ; ces photographies reprenaient l'esprit des
nus académiques alors très en vogue dans la peinture. Cependant, le petit format
des premiers daguerréotypes ainsi que son exemplaire unique, donc son prix relativement
élevé, constituaient encore un handicap. Rapidement la technique évolua et les
académies purent être tirées en multiple sur papier albuminé, par un procédé
négatif-positif, qui préservait les avantages de contraste et de précision des
daguerréotypes mais le prix en restait élevé. Parallèlement à ce marché spécifique, en raison du
caractère érotico-artistique des daguerréotypes, les académies
photographiques intéressèrent toute une clientèle masculine et bourgeoise
sensible à la représentation du corps nu de la femme. Aussi, lorsque les améliorations
techniques, comme l'introduction du procédé au collodion humide en 1851,
facilitèrent la prise de vue et rendirent les épreuves meilleur marché, la
photographie se vulgarisa ; un encadrement plus strict des
images parut donc nécessaire, et celui qui les signait de son nom s'exposait désormais à certains
risques de poursuite.(2)
Aujourd'hui,
il n'y a plus à proprement parler de censure ni de risque et la photographie
est un médium banal, couramment utilisé dans
les Centres d'art ; sous toutes ses formes, des plus anodines aux
plus choquantes, en
couleur
ou en
noir et blanc, en genre traditionnel descriptif ou en images
sans qualités particulières, ou bien encore sous forme de paysages... Mais c'est surtout le grand format qui fera l'oeuvre,
et la chance pour une autre part. Ce médium
est aussi entré largement dans les collections FRAC,
et d'ailleurs lequel d'entre eux ne possède pas son épreuve
de Bustamante, ou a un degré moindre, son braque de
Weimar déguisé
par William Wegman
? (3) On peut même parler de véritable institution, la France n'était-elle
pas représentée à la Biennale de
Venise 2003
par le même Bustamante, qui a remplacé les vitres des
fenêtres du pavillon français par des glaces teintées, pour en faire une sorte de « boîte
lumineuse » et amener le spectateur à porter un
regard sur les photographies accrochées à l’intérieur ?

Charles
Baudelaire au fauteuil, Félix Nadar 1855
Le
musée d'Orsay conserve trois clichés de Baudelaire pris par Nadar
qui était son ami. Baudelaire était particulièrement attaché à cette
épreuve qu'il conserva jusqu'à sa mort. Nadar y fait preuve d'une
saisissante pénétration psychologique : le photographe, qui a bien
compris le caractère dominant de l'auteur des Fleurs du mal met
ici l'accent sur l'image poignante de sa mélancolie. Il le représente
assis, le buste renversé en arrière, les yeux mi-clos, comme perdu
dans ses songes. C'est aussi à partir de cette époque que l'épreuve
photographique commencera à se substituer au modèle vivant. (cf/
Montparnasse-Multimédia/R.M.N.96) La
mise au point de la photographie. Joseph-Nicéphore Nièpce invente
d'abord un nouveau procédé lithographique à Chalon-sur-Saône. En
1827, il souhaite reproduire une copie exacte de la nature par un
procédé en chambre noire. Il emploie un instrument optique dont la
lumière sort sous forme de rayons lumineux qui agissent sur une
plaque sensible. Les zones claires de l'image ont été protégées
par du bitume de Judée, alors que les parties sombres sont exposées
à la lumière. Louis-Jacques Daguerre s'associe avec Nièpce en
1829 et avec la mise au point du "daguerréotype" (iode
sur plaque d'argent) en 1838, il contribue à la vulgarisation
définitive de la photographie.
1)
La chambre obscure est un moyen technique très largement
utilisé aux XVII et XVIIIème siècles, composé d'une boîte
noire contenant des lentilles et un miroir. L'artiste projette
par ce moyen le sujet à reproduire sur la surface à peindre
ou à dessiner. Vermeer employa cette technique de même que
la plupart des peintres de "védute" (vue -d'une
fenêtre- de Venise).
2) En
1851, par exemple, eut lieu le procès du photographe parisien Féfix
Jacques-Antoine Moulin. On avait trouvé chez lui et chez le commerçant Malacrida
rapporte le jugement : "Un nombre important d'images obscènes que l'énonciation
même des titres constituerait déjà un délit d'outrage publique aux bonnes
moeurs". Le commerçant fut condamné à un an de prison et à 500 francs d'amende
et le sieur Antoine Moulin, daguerréotypeur, à un mois de prison et 100 francs
d'amende. (Cf/ Michael Koetzle, Munich, Leica World, 1996)
En 1887, le ministre Thémis finit par intervenir afin d'encadrer la
diffusion, de plus en plus répandue, des photographies et des cartes postales de
nus académiques. Un décret du 11 juin reprend les dispositions de la loi de 1881
sur les publications, en interdisant que celles-ci aillent "à l'encontre des
bonnes moeurs et des institutions" et poursuit la pornographie. A la suite de
quoi, il fallait s'entendre sur la définition du mot "pornographie". En 1904, le
sénateur Bérenger se chargea de faire ajouter un décret complémentaire dans ce
sens qui spécifiait notamment : Que toute trace de pilosité figurant sur les
reproductions anatomiques étaient proscrites, devant suivre en cela la tradition
de la peinture occidentale.
3)
Jean-Marc Bustamante est né à Toulouse en 1952.
Il enseigne actuellement à l’École nationale
supérieure des Beaux-Arts de Paris dans
le département multimédia. Bustamante s’initie à la photographie au
milieu des années 1970 et cherche à introduire ce médium au
cœur de l’art contemporain.
Man Ray - C'est le nom donné par William Wegman à son premier braque de
Weimar. Et c'est
ainsi que l'animal entre dans l'objectif de l'appareil photo et un peu plus tard dans
celui de la
caméra vidéo.
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Photographes et nus académiques
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