William-Adolphe Bouguereau,
Centenaire de son décès
La Rochelle, 30 novembre 1825 – 19 août
1905
La Vierge consolatrice - William-Adolphe Bouguereau -
1877
Strasbourg, musée des Beaux-Arts, dépôt du musée d’Orsay
Cent ans après sa mort, Bouguereau est demeuré un symbole :
celui de la « mauvaise peinture », habile certes, mais artificielle, dénuée de
toute inspiration et guidée par le seul appât du gain. Rancune des diverses «
avant-gardes » contre un vieillard obstinément hostile à la destruction des
anciens critères de l’art ? Ou triste exemple du mauvais goût de ce qu’on nomme
trop souvent la « Belle Époque » ? Ce centenaire devrait offrir l’occasion de
faire enfin le point.
L’activité de Bouguereau couvre toute la seconde
partie du XIXe siècle, de la Zénobie
retrouvée par les bergers de 1850 (son prix de Rome) à
la Jeune prêtresse de 1902 (Rochester, Memorial Art Center). Petit, mais trapu,
les yeux bleus, le visage régulier, le peintre n’avait rien d’antipathique. Il
se montra toujours un ami fidèle et un maître attentif, facile
d’accès. Sa correspondance traduit une affection
profonde à l’égard de son épouse Nelly, et pour se remarier à son élève
Élisabeth Gartner il attendit qu’eût disparu sa mère, hostile à ce projet. Il
n’eut une vie ni égoïste, ni exempte de douleurs : mort de sa sœur à dix-sept
ans (1845), mort de sa femme (1877), mort de deux fils, l’un à quinze ans (1875)
et l’autre au berceau (1877). L’espèce de froideur qui se rencontre jusque dans
ses œuvres les plus sensuelles répond sans doute à une maîtrise de soi-même
conquise très tôt : mais elle est d’ordre plastique bien plus encore qu’un trait
de caractère.
Il faut en effet replacer
Bouguereau à sa place exacte dans l’histoire de la peinture. Au moment où il
prépare le prix de Rome, la grande nouveauté parisienne est le Combat de coqs de Gérôme, soit la
rupture avec le « Romantisme », le retour à l’Antiquité, au nu, au beau drapé,
aux couleurs claires et aux volumes précis.
L’Égalité de Bouguereau (1848, coll. part.),
l’Ulysse reconnu par sa nourrice présenté pour le concours de Rome de 1849 (musée des Beaux-Arts de
La Rochelle) semblent en être directement marqués. C’est de cet art probe, à la
fois sensuel et dénué d’émotion, que semble découler la peinture de
Bouguereau.
Comment comprendre, alors, cette
vaste et détestable suite d’œuvres qu’il peignit et qui a compromis le nom de
Bouguereau ? Par un phénomène encore mal étudié : le développement dans les
années cinquante du grand commerce d’art parisien, qui très vite s’efforça
d’influencer la production. Bouguereau entra dès 1855 en relations avec le
marchand Durand-Ruel. Mais c’est à partir de 1863 que celui-ci poussa l’artiste
à passer de la « grande peinture » à la « peinture de genre » duement
négociable. Peu après, à la fin de 1865, Bouguereau se vit offrir par le marchand
Goupil un contrat exclusif qui dura jusqu’en 1887 : ce qui signifie de 200 à
250 toiles dont la majeure partie fut directement destinée au marché anglais et
américain et dont le peintre, obligatoirement, se devait de varier la
sentimentalité mièvre et le chaste érotisme. Il est évident que malgré sa
conscience et la qualité de son pinceau, rien de cette production d’exportation
ne mérite d’être retenu.
C’est autour de l’autre
partie de l’œuvre qu’il faut reconstituer le véritable Bouguereau. Elle reste
malheureusement presque inconnue, les tableaux des collections américaines étant
d’ordinaire seuls à être reproduits. L’attention devrait au contraire se porter
sur les grands ensembles décoratifs religieux peints à Paris, dont Georges Brunel a rappelé en 1984 l’intelligence et la sobriété : ceux de l’église
Sainte-Clotilde (1859-1861), de l’église Saint-Augustin (1867) et de l’église
Saint-Vincent-de-Paul (1884-1888), conservés en place. Il faudrait y ajouter
les suites de peintures exécutées par Bouguereau pour des hôtels particuliers,
notamment l’hôtel Bartholoni (1854-1866) et l’hôtel Pereire (1857-1858), dont
certains éléments ont malheureusement disparu ; à quoi s’ajoute le plafond
(toujours en place) de la salle des concerts du Grand Théâtre de Bordeaux
(1855-1870). À côté du décorateur il conviendrait aussi de remettre en valeur le
portraitiste, grave et franc (Portrait d’Aristide
Boucicaut, 1875), et surtout le dessinateur, capable de
multiplier les croquis les plus vivants aussi bien que les belles feuilles au
trait pur.
Il y a là de quoi retrouver une
figure digne de tenir sa place dans la peinture française de la seconde moitié
du siècle, surtout lorsqu’on y ajoute les grandes toiles qui, bien distinctes du
« style aimable », surprennent par leur gravité et par leur puissant effet de
rythmes et de lumières : la Vierge
consolatrice de 1877, inspirée par la mort de son fils
(Strasbourg), la Flagellation du Christ de 1880 (3,90 m sur 2,10 ; cathédrale de La Rochelle), la vaste
Jeunesse de Bacchus de 1884
(3,31 m sur 6,10 ; coll. des héritiers). Bouguereau apparaît alors comme l’un
des peintres les plus intéressants de cette génération née sous Charles X,
formée sous Louis-Philippe et qui trouve son équilibre sous le Second Empire :
celle qui précède l’Impressionnisme qui fut si violemment décrié par
lui…
Jacques Thuillier,
professeur au Collège de
France,
membre du Haut comité des célébrations nationales
Dante et Virgile au Enfers, 1850 - collection particulière
Une âme au ciel, 1878
- Perigord Museum