Un sujet de prédilection chez les peintres académiques : Les Vénus.
Vénus ou Aphrodite, la déesse de l'amour, serait née de l'écume de la mer, près de Cythère. Le mythe évoque l'union de Zeus et Dionée. Toujours séduisante, elle représente l'éternel féminin qui plait aux hommes comme aux dieux. Vénus épouse pourtant un dieu très laid, Héphaïstos-Vulcain, mais versatile, elle ne se privera pas de le tromper avec impudence, une aventure la trouve ainsi dans le lit d'Arès-Mars. L'Amour, sous la forme d'Éros, angelot dodu armé d'un arc, l'accompagne souvent.
Contrairement à Cabanel qui nous montre la
Vénus allongée, Bouguereau et Gérôme ses contemporains nous la présentent plus
traditionnellement debout, bien de face, avec en prime un élégant déhanchement
chez le modèle de Bouguereau.
Débarrassée de ses attributs mythologiques comme les "putti", il ne
reste plus dans les trois tableaux représentant la naissance de Vénus
qu'une belle femme nue, désirable, avec un corps de nacre à
l'anatomie parfaite, dont l'abondante chevelure bien mise en évidence par un
gracieux jeu de mains, renforce encore une incontestable sensualité. Les peintres n'ont semble-t-il pas boudé leur plaisir ; sous prétexte de modernité, d'intellectualisme, ne boudons pas le nôtre... Cabanel paraît s'en donner à coeur-joie, à l'encontre d'une certaine tradition, il n'hésite pas à montrer avec quelques provocations la belle déesse à
la longue chevelure en train de mettre ostensiblement ses formes en valeur
par un étirement langoureux du corps. Le peintre a peut-être été inspiré en cela par Auguste Clésinger qui créa une
véritable surprise, au parfum de scandale, en proposant au Salon de 1847 "La Femme piquée par un serpent".
En effet, cette sculpture très remarquée par sa pose suggestive,
utilisait la technique du moulage directement sur nature, ce qui renforçait
encore son charme érotique.
A noter que le beau modèle de Clésinger, Joséphine-Apollinie Sabatier fut à
l'image de Vénus et entre-autre, la maîtresse de l'artiste, de Baudelaire et
d'un banquier.
Théophile Gautier a vanté les mérites du marbre :
"L’artiste a résolu ce problème de faire de la beauté sans mignardise,
sans affectation, sans maniérisme, avec une tête et un corps de notre temps, où
chacun peut reconnaître sa maîtresse - si elle est belle".
A propos des Vénus et de la peinture académique la controverse arrive tôt.
Théophile Gautier, dans un article du
Moniteur universel du 13 juin 1863, ne tarit pas d'éloge sur la Vénus de
Cabanel :
"Son corps divin semble pétri avec l'écume neigeuse des vagues. Les
pointes des seins, la bouche et les joues sont seules teintées d'une
imperceptible nuance rose ; une goutte de la pourpre ambroisienne se répand
dans cette substance argentée et vaporeuse."
Zola, quant à lui, s’autorise à ironiser
dans Le Bon Combat :
"Prenez une Vénus antique, un corps de femme quelconque dessiné d'après
les règles sacrées, et, légèrement, avec une houppe, maquillez ce corps de fard
et de poudre de riz ; vous aurez l'idéal de monsieur Cabanel... Voyez au
Champ-de-Mars la Naissance de Vénus. La déesse noyée dans un fleuve de lait a
l'air d'une délicieuse lorette, non pas en chair et en os, ce serait indécent,
mais en une sorte de pâte d'amande blanche et rose. Il y a des gens qui
trouvent cette adorable poupée bien dessinée, bien modelée, et qui la déclarent
fille plus ou moins bâtarde de la Vénus de Milo : voilà le jugement des
personnes graves. Il y a des gens qui s'émerveillent sur le sourire de la
poupée, sur ses membres délicats, sur son attitude voluptueuse : voilà le
jugement des personnes légères. Et tout est pour le mieux dans le meilleur des
tableaux du monde." (Emile Zola, nos peintres au Champ-de-Mars, 1867)
"...dans le goût classique, les toiles de M. Cabanel et de M. Bouguereau,
le triomphe de la propreté en peinture, des tableaux unis comme une glace, dans
lesquels les dames peuvent se coiffer." (Emile Zola, le salon de 1875)
Dans le roman de Zola l'Œuvre qui retrace le parcours d'un peintre
"moderne" Claude Lantier, une allusion est faite à Cabanel qui
apparaît sous le nom de Mazel. L'esthétique académique de Mazel-Cabanel est ainsi raillée
par un des artistes qui partage les orientations naturalistes de Lantier :
"Oui mon vieux, à l'Ecole, ils corrigent le modèle... L'autre jour, Mazel
s'approche et me dit : Les deux cuisses ne sont pas d'aplomb. Alors, je lui dis
: Voyez monsieur, elle les a comme ça - c'était la petite Flore Beauchamp,
vous savez - et il me dit, furieux : Si elle les a comme ça, elle a tort !"
Le critique Huysmans, dans L'Art moderne,
compare les Vénus de Cabanel et de Bouguereau :
"Il me faut bien, hélas ! Commencer par l'oeuvre de M. Bouguereau. M.
Gérôme avait rénové déjà le glacial ivoire de Wilhem Miéris, M. Bouguereau a
fait pis. De concert avec M. Cabanel, il a inventé la peinture gazeuse, la
pièce soufflée. Ce n'est même plus de la porcelaine, c'est du léché flasque ;
c'est je ne sais quoi, quelque chose comme de la chair molle de poulpe. La
naissance de Vénus, étalée sur la cimaise d'une salle, est une pauvreté qui n'a
pas de nom. La composition est celle de tout le monde. Une femme nue sur une coquille,
au centre. Tout autour d'autres femmes s'ébattant dans des poses connues. Les
têtes sont banales, ce sont ces sydonies qu'on voit tourner dans la devanture
des coiffeurs ; mais ce qui est plus affligeant encore, ce sont les bustes et
les jambes. Prenez la Vénus de la tête aux pieds, c'est une baudruche mal
gonflée. Ni muscles, ni nerfs, ni sang. Les genoux godent, manquent d'attaches,
c'est par un miracle d'équilibre si cette malheureuse tient debout. Un coup
d'épingle dans ce torse et le tout tomberait. La couleur est vile, et vil est
le dessin. C'est exécuté comme pour des chromos de boîtes à dragées ; la main a
marché seule, faisant l'ondulation du corps machinalement.
C'est à hurler de
rage quand on songe que ce peintre qui, dans la hiérarchie du médiocre est
maître, est chef d'école, et que cette école, si l'on n'y prend garde,
deviendra tout simplement la négation la plus absolue de l'art !"
(Huysmans Salon de 1879 paru dans l'Art moderne)
LA REPRESENTATION DU CORPS à la fin du XIXème.
Depuis
l'Antiquité en passant par la
Renaissance, l'apprentissage
de la représentation du corps a toujours occupé une place fondamentale dans l'enseignement
artistique occidental. Au XIXème siècle, le dessin ou "académie" d'après
modèle vivant, d'abord un modèle masculin pour devenir ensuite plus généralement une femme nue, devient d'ailleurs
la dernière étape du cursus
à l'école des Beaux-Arts.
Cet apprentissage commence par la reproduction de
gravures, puis de plâtres issus de la statuaire antique, pour finir par le modèle
vivant proprement dit.
En 1850, ceux-ci sont alors payés un franc de l'heure ( environ
3 € ). Vers 1875, la pose ordinaire de quatre heures vaudra cinq francs pour les
artistes mais trois pour les écoles d'art, considérées comme un employeur stable et régulier. La photographie, d'invention récente, commencera
ensuite
à concurrencer les modèles vivants. Une autre enquête datée de 1901 recense entre 800 et 850 modèles professionnels très
souvent d'origine italienne. Ils résident essentiellement dans les quartiers de
Saint-Victor
à Paris. Les femmes sont payées 5 F (40 €uros actuels) pour une séance de 4
heures et les hommes 4 F pour une durée identique. Au préalable et pour la petite histoire, le modèle est parfois
invité à prendre un bain...
Les
nus féminins séduisent surtout et tout naturellement
un public masculin sensible au contenu suggestif des images. Ces
représentations sont
moralement tolérées par la société pudibonde du XIXème grace à l'alibi historique, mythologique,
ou exotique chez les orientalistes. Les poils pubiens des modèles, de mauvais
goût et prohibés par la loi, sont toujours soigneusement effacés, comme
d'ailleurs sur la plupart des toutes premières photographies érotiques
de l'époque.
En traitant de la nudité féminine, l'Art Pompier ou Académique fédérait finalement
performance technique,
beauté et plaisir, sans oublier pour autant de donner un sens au tableau.
L'IMAGE DE LA FEMME à la fin du XIXème.
Deux types
de caractère féminin, en apparence
contradictoires, sont alors en vogue :
Le premier nous présente une femme idéale, accomplie, en
quelque sorte parfaite,
et l'autre nous la montre fragile, voire inquiétante.
Comme à la
Renaissance, le XIXème siècle célèbre la femme dans l'art et la
littérature tout en la déclarant mineure dans la vie politique et publique. Ce siècle prône la vertu, la féminité accomplie, mais
officialise en même temps la
prostitution avec les maisons closes. Le bourgeois d'alors, s'il en a les moyens,
peut parfaitement
entretenir une
femme destinée à son plaisir. Il a donc à sa disposition les deux aspects de la féminité : la fidèle épouse vertueuse pour
l'apparence et la courtisane frivole pour l'agrément.
En
lien, deux canons de beauté sont alors en vogue :
Le stéréotype dominant, c'est celui de la
féminité bourgeoise
ronde et potelée, aux bras dodus,à la chevelure
opulente et à la chair d'albâtre...
Le
second, celui de la féminité maladive, de la troublante
malade des nerfs, femme fragile et romantique, qui pourrait s'apparenter à Camille Claudel, et qui est menacée par l'hystérie décrite par
Charcot. C'est aussi la belle malade du corps, la tuberculeuse pâle,
comme Marguerite Gautier, la Dame aux camélias. Zola dans sa "Nana" ne
manque pas d'exalter cette
relation entre la féminité et la maladie réelle ou supposée.
Cela ne se limite pas à la
littérature : entre 1830-1880
dans la peinture, en pleine période du romantisme, des
pré-raphaélites anglais, on aime la pâleur, les joues creuses, les
cernes sous les yeux et c'est d'ailleurs cette image de la
femme, pleine d'une froide sensualité, de langueur, avec un teint clair, que retiendra le mouvement préraphaélite.
Elisabeth Siddal qui
a été la
première femme de Dante Gabriel Rossetti en est une illustration dramatique. En 1862 elle se suicida au
laudanum, un dérivé de l'opium. La belle et énigmatique Jane Burden qui fut la
seconde femme du peintre, et qui, comme Elisabeth lui servit de modèle, posa pour
la si symbolique et emblématique Vénus Verticordia.
Certains artistes, certains peintres,
mais surtout les poètes développèrent aussi l'idée que
la maladie pouvait permettre de se distinguer du commun des mortels ; qu'elle donne au
visage cette "étrangeté", qu'elle singularise la personnalité et l'oeuvre. La médecine n'est
pas en reste et vient renforcer cette idée curieuse.
Les textes médicaux sur le sujet considèrent souvent
la femme comme une créature
enchanteresse et fragile - à qui la nature a donné le pouvoir d'enfanter - et selon le
commentaire de Michelet sur ses menstruations "La femme subit même l'éternelle blessure d'amour". L'écrivain se livre par
ailleurs à des démonstrations afin de montrer qu'avant
et après les règles, elle est malade au total quelque vingt-deux jours sur
vingt-huit, c'est-à-dire presque toujours "...la femme
varie, elle a un cerveau incapable de fixer les idées, elle est donc
forcément sujette
à ses nerfs". La femme reste donc une patiente potentielle, d'où l'importance des cures, des sanatoriums, des hôpitaux spécialisés.
En Angleterre, on ira même jusqu'à pratiquer l'ablation des ovaires à titre préventif
contre l'hystérie. Un médecin célèbre nommé Isaac Baker Brown a ainsi stérilisé
à de multiples reprises dans la bonne société.
Et cette perception des choses ne date pas d'hier, on l'a trouve par exemple chez le philosophe des
Lumières Emmanuel Kant. Celui-ci décrit la féminité comme le synonyme de la
beauté, alors qu’il relie l’homme à la notion de sublime. La femme qui sait trop
perd de son attrait et, quand elle expose ses connaissances, elle détruit une
partie de
sa féminité. Conclusion : elle ne doit pas s’occuper de mathématiques,
d’histoire ou de géographie ; elle doit juste avoir assez de connaissances pour
pouvoir participer à une conversation et lorsqu'elle affiche un air candide, elle
paraît encore bien plus belle.
La mode venant d'Orient fait découvrir le plaisir des
bains, le besoin d'aérer ponctuellement son corps, d'où les premières excursions à la plage,
les bains de mer, la pratique du sport... mais il faut bien entendu toujours
se protéger contre les mauvais airs
et les rayons du soleil. Fini, aussi, le
maquillage exubérant qui caractérisait l'Ancien Régime. Les livres de beauté critiquent son usage pour des
raisons autant hygiéniques que morales : la femme fardée est une femme de
mauvaise vie. Tout au plus se permet-on un soupçon de poudre, et encore ! Le
produit cosmétique par excellence, c'est l'eau. Tout à coup, on se lave à l'eau. On aime
les préparations blanches, neutres, transparentes. L'actrice Lola Montes, auteur
de plusieurs livres sur la beauté, déconseille d'ailleurs les artifices qui abîment la peau
et donnent mauvais genre.
Néanmoins de nombreux accessoires demeurent. Le corps féminin qui
craint tant la lumière du soleil, doit être couvert des chevilles au cou.
Il est véritablement façonné par le
vêtement qui est rigidifié par un appareillage complexe et contraignant de faux-culs
et de corsets ; l'homme quant
à lui s'habille en noir, engoncé
dans sa redingote il ne montre pas davantage son corps...
La peinture
pourtant représente souvent la nudité, et comme jamais, mais essentiellement féminine et ce n'est
qu'à la fin du XIXème siècle, sous l'influence des modèles américains, lorsque l'homme se mettra à la culture physique, que l'on retrouvera avec la
mode de l'antique un timide goût pour la nudité
masculine.
Les remords d'Oreste de William BOUGUEREAU - Norfolk, Virginia, USA