Qu'est-ce que la peinture académique ?
Au XIXe siècle, la culture générale, réservée au
plus faible pourcentage d'une classe d'âge qui fréquentait les lycées, était
fondée pour une part essentielle sur les "humanités", à savoir l'apprentissage
des langues anciennes, à travers lequel s'opérait une imprégnation que
l'historien Ernest Lavisse, qui conçut les plus célèbres manuels scolaires de
l'époque, décrit en ces termes : "J'ai le sentiment d'avoir été élevé dans un
milieu noble, étranger et lointain. J'ai vécu à Athènes au temps de Périclès, à
Rome au temps d'Auguste..." Ce
type d'apprentissage peut être rapproché à celui des jeunes artistes étudiant de
l'Ecole des Beaux-Arts, cette fois-ci non pas en vue du baccalauréat mais dans
l'espoir d'obtenir un jour le Prix de Rome, couronnement des études suivies dans
cet établissement. Néanmoins, les artistes indépendants (réalistes, impressionnistes)
ou même certains dits "officiels" (c'est-à-dire encouragés par l'Etat et exposant avec
succès au Salon annuel) prirent d'autres voies, plus au moins
radicalement. Les artistes de la
période 1850-1914
ont à leur disposition comme source d'inspiration, outre l'ensemble de la littérature gréco-romaine, le
plus souvent en traductions et morceaux choisis, des dictionnaires de mythologie
appelés "dictionnaires de la Fable". Ils ne font pas de différence notable
entre les thèmes mythologiques, historiques ou littéraires. Le mot "Pompier"
synonyme avec dérision d'art académique apparaît selon le Robert en 1888,
ce vocable englobe le néoclassicisme, l'éclectisme, l'orientalisme
et le "Victorian-neoclassicism"
anglais et, plus généralement, toute peinture figurative de facture soignée
avec figure
humaine. Il semble que cette
dénomination d'art pompier provienne d'une plaisanterie d'élèves des Beaux-Arts, qui auraient
comparé les casques grecs ou romains des guerriers du répertoire néoclassique à
des casques de pompiers. LE PARADOXE de l'art contemporain. La
culture générale s'est démocratisée. A la version latine de la Troisième
République s'est progressivement substitué la sélection
par les mathématiques, aux résultats finalement peu contestables. Dans le domaine
des Beaux-Arts, l'académisme a laissé place au "concept",
forcément subjectif, donc sujet à une sélection arbitraire. Ingres
Jean-Auguste-Dominique (1780-1867) : Sur cette
toile, Ingres avait d'abord commencé le portrait d'une familière de la cour de
l'empereur Napoléon III. Celle-ci ayant quitté la capitale, le portrait demeura
inachevé ; seuls les traits du visage avaient été esquissés. Ingres décida alors
de reprendre le tableau, en le détournant de son premier objet : il "habilla"
cette tête d'un corps nu, et peignit une Vénus. Ce procédé rappelle,
fortuitement, que les artistes de l'Antiquité, dans le but de représenter les
divinités de l'Olympe, prenaient des modèles dans leur entourage. En
transformant ce projet de portrait en peinture mythologique, Ingres ennoblit son
tableau : la nudité antique le met au rang de la Peinture d'Histoire, sommet de
la hiérarchie des genres respectée par le style néo-classique. La préoccupation
essentielle du peintre est ici la poursuite d'un idéal de beauté : le corps de
la déesse se détache du tableau au premier plan, grâce à sa carnation pâle et
nacrée. Il témoigne d'un parti pris de distanciation qui va jusqu'aux
déformations étranges du buste. On est assez renseigné sur l'oeuvre pour savoir
que son titre actuel ne lui fut pas donné par Ingres. Mais la référence
mythologique y est néanmoins discrètement précisée par deux détails clairement
lisibles, même si secondaires par rapport à la figure centrale : l'enfant et le
coin de temple que l'on aperçoit à l'angle supérieur gauche du tableau.
Accompagner Aphrodite-Vénus d'Eros-Cupidon, son fils, est une tradition
iconographique immémoriale ; quant au temple, il justifie le titre : la légende
apprend que c'est à Paphos, ville de l'île de Chypre, que la déesse se réfugia
lorsque sa liaison avec Mars fut découverte et ridiculisée par Vulcain son
époux. Pendant toute l'Antiquité, on rendit à Paphos un culte à Vénus. Des
vestiges du temple qui lui était consacré étaient déjà connus au XIXe siècle. Cabanel Alexandre
(1823-1889) : Dix ans
après celle d'Ingres, voici une autre Vénus, dans laquelle on peut observer un
rapport à la référence à l'antique d'un type très différent. Certes, la fidélité
aux éléments narratifs du mythe est perceptible : la déesse est allongée sur le
bord d'une vague ourlée d'écume d'où elle est supposée naître. Mais on est loin
de l'érotique chaste et idéalisé de la Vénus à Paphos.
La pose de la Vénus de Cabanel n'évoque en fait ni la naissance, ni un réveil
vraisemblable : c'est plutôt un étirement propre à mettre en valeur ses charmes,
d'une manière convenue dans le code de l'érotisme. La guirlande d'amours qui
président à cette naissance a pour fonction formelle de souligner les courbes du
corps de la déesse. Ce nu reste idéalisé, ce qui fait dire à Zola : "la déesse,
noyée dans un fleuve de lait, a l'air d'une délicieuse lorette, non pas en chair
et en os -cela serait indécent- mais en une sorte de pâte d'amande blanche et
rose". Mais cette idéalisation n'est qu'une condition pour rendre possible une
jouissance visuelle dont est friande la bourgeoisie du Second Empire. Cabanel
atteignit pleinement son but avec cette oeuvre : elle fut achetée par Napoléon
III, l'année même où Manet peignait l'Olympia,
accueillie par les sarcasmes du public comme une "Vénus des
faubourgs".
Pradier James (1780-1852) : La référence
à l'Antiquité peut offrir un support à l'expression d'une allégorie moderne. La poétesse grecque Sapho a ainsi
été choisie
par de nombreux artistes romantiques et symbolistes comme figure emblématique de
la poésie et plus largement de la création artistique.
Musée d'Orsay/ C. Barbillon |